2021
Réalisé par: Questlove
Avec: Stevie Wonder, Jesse Jackson, Nina Simone
Film vu par nos propres moyens
Durant l’été 1969, la musique fait vibrer les USA. Le mythique concert de Woodstock est au centre de l’attention, et les cris de liberté des artistes qui y participent résonnent à travers presque tout le pays. Pourtant, à Harlem, c’est un autre festival musical qui emporte l’adhésion de la population locale, multipliant les prestations d’interprètes à la peau noire, venus à la rencontre de leur public. Stevie Wonder, Nina Simone, Sly and The Family Stone… Tous défilent sur la scène du Harlem Cultural Festival dans une série de concerts totalement gratuits et communient avec leur audience, frappée par la précarité et l’oppression des élites blanches de l’époque.
Bien que filmés, ces shows pourtant fantastiques ne seront jamais montrés à une large audience: dans l’Amérique de Nixon, personne ne veut s’intéresser au sort de ces parias de la société, les yeux restent fermés et l’indifférence règne. Heureusement, le monde évolue, et Questlove, le célèbre batteur des Roots, nous propose aujourd’hui de redécouvrir ces images, de les replacer dans le contexte politique de l’époque et d’y confronter ceux qui l’ont vécu, sur scène ou dans le public, le temps d’une douce parenthèse enchantée sous un soleil de plomb.
Couleurs et fierté
Le ressenti initial fort à l’entame de Summer of Soul se fait purement sensoriel. Sur la toile de fond de la scène de spectacle ou sur les habits du public et des artistes, les couleurs éclatent, débordent de vie, s’impriment dans la rétine du spectateur comme un ballet enchanteur de nuances. Dans son entreprise de voyage temporel, Questlove sait pertinemment qu’il peut s’appuyer sur la douceur rétro de son image pour convoquer la nostalgie d’un temps où la culture explosait, où les chanteurs étaient des explorateurs culturels, définissant de nouveau modes de vie au rythme de leurs tubes.
Cette affirmation de l’identité est au cœur des mentalités en 1969. L’homme et la femme noirs sont en pleine transformation. Ceux qui vivaient en marge de la société ne veulent plus être cachés, sous les coups de bâtons d’un système qui les entrave. Ainsi le qualificatif “Black”, remplace enfin l’infâme “Negro” dans les journaux, les cultures africaines, caribéennes, porto-ricaines et autres s’affichent sur les vêtements et se mélangent dans les rues de Harlem. Coupe afro, semelle compensée, veste de cuir ou robe extravagante… Les artistes du Harlem Cultural Festival se font les échos de cette mutation, à l’instar de l’inoubliable Nina Simone, ensorcelante de beauté et de charisme.
Les tourments de l’Histoire
Réduire Summer of Soul au simple rang de concert filmé serait ainsi une erreur: il est un témoignage du bouleversement profond de la mentalité américaine. Questlove ne s’y trompe pas et s’appuie sur un montage savant, au rythme diablement efficace, qui mélange performances d’artistes, images d’archives et témoignages. La lutte contre la pauvreté et la drogue se télescope avec la musique. Sur scène, Jesse Jackson invite la foule à s’affranchir de ses liens. En coulisses, les Black Panthers organisent la sécurité du festival. Presque tous les chanteurs présents à l’écran se transforment en porte-voix des maux de l’audience, comme si les deux dialoguaient de cœur à cœur.
Le musicien devenu documentaliste a bien conscience de la période charnière à laquelle prend place le Harlem Cultural Festival. Les années 60 ont meurtri la population noire, qui a perdu la plupart de ses portes paroles. Les assassinats des frères Kennedy, et peut-être à plus forte raison ceux de Martin Luther King et Malcolm X, ont privé ces hommes et ces femmes de leader. Il ne reste plus que la musique pour vibrer, pour exister, et pour résister. L’homme peut bien marcher sur la lune le même été, quelle importance quand les enfants de Harlem meurent de faim, soulignent plusieurs intervenants.
La musique avant tout
Au-delà des clivages, au-delà des débats, au-delà de la détresse, Summer of Soul n’oublie jamais sa mission première: signer les retrouvailles entre le spectateur et les chansons qu’il aime et qui résonnent à jamais en lui. Le Harlem Cultural Festival fait la part belle à une multitude de sonorités différentes, qu’il replace dans l’Histoire de la musique. Ainsi, on ne s’étonne pas de voir The 5th Dimension reprendre les standards de la comédie musicale Hair et côtoyer des chanteuses de Gospel, un courant artistique emblématique de la communauté noire américaine. Ayant une place de choix au centre du documentaire, le groupe Sly and the Family Stone témoigne lui d’une évolution des mœurs: ses membres sont noirs et blancs, unis pour nous unir, pour nous emmener ailleurs et Higher.
Dans le public, la proximité des corps qui se massent sur le devant de la scène impressionne, mais ce sont peut-être les séquences plus douces qui nous restent en mémoire. Hommes, femmes, adultes, enfants… Tous sont réunis autour de la musique pour la célébrer. On discute, on rit, on mange, on exulte, on vibre, on aime. Le temps d’un été, nous ne faisons plus qu’un avec ces êtres transportés par les mélodies.
Summer of Soul est un témoignage de son époque, autant politique que musical, mais également un émerveillement formel des sens. Questlove réussit le pari de remettre en lumière une histoire méconnue qui mérite d’être célébrée.
Ping : Les nominations aux Oscars - Les Réfracteurs