2021
Réalisé par: Jon Watts
Avec: Tom Holland, Zendaya, Benedict Cumberbatch
Film vu par nos propres moyens
Attendu comme l’événement de la fin d’année, la promesse de Spider-Man : No Way Home ne transcende jamais les attentes du spectateur, et reste le symbole d’un cinéma de divertissement complètement désincarné.
Euphémisme : atténuation dans l’expression de certaines idées ou de certains faits. Exemple : Spider-Man : No Way Home est l’un, si ce n’est le film le plus attendu de la fin d’année. Et il y avait de quoi: entre la promotion qui actait l’arrivée du multivers et la résurgence de vilains issus des précédentes itérations du Tisseur, ainsi que la « rumeur » (qui n’en est plus une depuis longtemps) d’autres personnages emblématiques, ce troisième volet du Spider Man version Tom Holland sentait bon le doudou nostalgique prompt à caresser les fans dans le sens du poil. Et, désespérément, Spider-Man No Way Home est exactement ce qu’on devait en attendre.
Le film reprend exactement là où le dernier film s’était arrêté : Mysterio, antagoniste du dernier opus, a révélé l’identité de Spider-Man au monde entier. Le jeune Peter Parker devient alors la cible d’attaques, un procès lui tombe sur le dos, ses amis pâtissent de leur amitié avec l’homme-araignée… C’en est trop pour le jeune homme, qui demande à Docteur Strange, qui se tonystarkéise toujours plus, de faire oublier à tout le monde qui est Spider Man Mais l’ado turbulent va créer une faille dans le multivers, dans laquelle les méchants ne se priveront pas pour s’engouffrer. Mais pas qu’eux…
Des antagonistes sans âme
Plus que des pincettes, ce sont des pinces à linge qu’il faut utiliser pour parler de Spider-Man : No Way Home sans risquer le moindre divulgâchage. Somme toute logique, le film reposant uniquement sur cet effet de surprise nostalgique. Et il faut l’admettre, le retour de personnages emblématiques a quelque chose d’euphorisant, au départ. Les bras mécaniques du Docteur Octopus, le rire machiavélique du Bouffon Vert ou l’agressivité d’Electro, sont autant de madeleines de Proust dont le spectateur se délecte instantanément. Malheureusement, le film n’en fera jamais rien d’autre que des marionnettes au service d’un scénario bancal et beaucoup trop ténu pour ses 2h30.
Alfred Molina en Doc Oc’ est ridiculisé, Jamie Foxx se voit banalement réorchestré dans la peau d’Electro. Quant au Lézard ou à L’Homme-sable, leur présence se réduit à peau de chagrin. Tous ces personnages perdent la noblesse offerte par les films précédents, en tout cas la volonté assumée (même si pas toujours réussie) d’en faire des figures dramatiques. Seul Willem Dafoe semble s’éclater en Bouffon Vert et tirer son épingle du jeu, d’autant plus qu’il est l’antagoniste le plus mis en avant par Jon Watts. Plus que ne pas y arriver, le film ne semble en fait jamais tenter de faire de ces personnages autre chose que les fantômes de leur incarnation version Marc Webb ou Sam Raimi. C’est d’ailleurs bien ainsi que Le Bouffon Vert les qualifie : des « fantômes ». Mais dans No Way Home, c’est plutôt le scénario qu’on serait tenté de qualifier ainsi.
Le refus du drame
La faute à l’inconséquence chère au MCU, pour qui la moindre émotion négative qui ne serait pas essentielle doit être purgée. Preuve en est, la mission de ce Spider-Man, qui ne veut pas renvoyer simplement ces méchants dans leur monde, mais les « soigner ». Idée astucieuse de scénario, mais surtout révélatrice d’un moralisme putride, voire d’une forme de révisionnisme, comme le reproche des précédents opus de ne pas s’être fondus dans le propret moule MCU. Tout le film est coincé entre un multivers qui ouvre un nombre infini de possibilités narratives et un scénario qui n’en tire absolument rien.
De cette volonté d’inconséquence découle non seulement un humour devenu lourdaud et agaçant de dédramatisation, mais également une réalisation sans aucun relief. Jon Watts peut, à juste titre, être décrit comme l’un des tâcherons d’Hollywood, tant jamais son No Way Home ne donne de l’ampleur à ses personnages. Tout semble désincarné, vide de sens, comme assisté par une machine sans vie. Les scènes d’action trouvent le moyen d’être à la fois sur montées et molles, la violence des coups ne se ressent jamais, et aucun des protagonistes ne bénéficie de scènes réellement marquantes. La marque de l’Hollywood du fond vert dans toute sa splendeur. Quelques plans-séquences, disséminés çà et là, viennent offrir quelques secondes d’air. Mais pas de quoi sauver le radeau du naufrage. Pourtant, en dessous de cette couche de putréfaction, se décèle un film plus intime et pertinent.
L’absence de l’humain
Il convient d’être honnête, voilà enfin le premier film Spider-Man version MCU qui livre une vraie conséquence et une réelle évolution à son personnage principal, pour qui la question du sacrifice et de la responsabilité est tout de même centrale. Les meilleures scènes du film sont donc probablement les plus intimes, notamment celles regroupant le trio Peter, MJ et Ned. Même s’il se dégage de ces séquences autant d’émotion que si l’on regardait de l’eau couler, elles offrent des bribes d’émotion qui font regretter un film qui se concentre autant sur sa fibre nostalgique. Il aurait dû être le premier opus de cette nouvelle saga, mais doit maintenant composer avec un agenda qui lui impose d’être un film casse-gueule, qui n’assume jamais complètement sa direction.
Finalement, Spider-Man : No Way Home est un film d’horreur, peuplé de monstres en tout genre : le scénario a tout d’un spectre. Les personnages de retour sont des zombies, qu’on fait renaitre avec chair mais sans âme. Le film est un Frankenstein, coincé dans ses ambitions nostalgiques. Enfin, il vampirise les salles obscures, avec le succès qu’on lui connait (plus de 600 millions de dollars de recettes au 20 décembre), installant un peu plus la formule Marvel, celle de l’inconsistance, de l’incohérence et la paresse d’écriture (le procès de Peter? Le comportement erratique de Docteur Strange?), de l’effacement de la dramaturgie et du titillement de la fibre nostalgique, comme la formule hollywoodienne forte. Le tout, comme l’avait très justement formulé Martin Scorsese à la sortie de The Irishman en 2019 (lui valant une volée de bois verts), sans un ingrédient artistique essentiel : l’humain. C’est là le plus grand échec de No Way Home, perdre l’homme dans le surhomme. Echouer à donner à l’œuvre sa portée dramaturgique. Le pire : ne même pas sembler l’avoir tenté. « Je me prépare toujours à être déçu, comme ça j’évite la déception », lance avec sagesse MJ dans le film. C’est bien la seule manière, et encore, d’appréhender Spider-Man : No Way Home. D’éviter ainsi le désarroi d’un film qui n’aura offert qu’une séduisante promesse.
Spider-Man No Way Home est distribué par Sony Pictures.
Une promesse admirablement ratée, malgré un Spider-Man enfin arrivé à l’évolution qui aurait dû être sienne depuis le premier opus. Le symbole d’un cinéma de blockbuster désincarné, sans vie, où végètent dans un coin les espoirs d’un film qui ne semble jamais essayer d’exister.
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