2022

de Michel Ciment

Livre fourni par Carlotta

Exercice stylistique unique en son genre, l’interview est un travail périlleux. Oscillant entre avarice et pantagruélisme, il demande à son auteur un savant sens de la mesure, pour rendre le moment pertinent. Avec Passeport pour Hollywood, l’incroyable Michel Ciment fait face à un défi à la hauteur de son talent : au travers de deux générations atypiques, le célèbre critique tente de dresser le portrait des mouvances d’une industrie. Un pari risqué, mais un pari réussi ?

Comment s’importer à Hollywood ? Ciment creuse la relation contrastée de 6 cinéastes avec la Californie. Du grandiloquent à l’intime, du système entier à leur propre travail, le critique dresse au fil des entretiens une plongée délicate dans la carrière de cinéastes. Wilder et Mankiewicz en tête, d’habitude si rare lorsqu’on leur demande de parler d’eux, sont ici prolixes, et nous proposent une relecture bienfaisante des rouages dans lesquels ils ont su briller. Passeport pour Hollywood n’est d’ailleurs pas le récit d’un conflit, mais bien une réflexion sur l’épanouissement cinématographique à et loin de la Cité des Anges. Sans velléités mais pas sans nuances, Michel Ciment trace un parcours à travers les cinémas avec les cinéastes et les lecteurs, au gré des pérégrinations des premiers. Ainsi, il permet que l’on nous conte une autre facette du cinéma, non sans brio, et offre à son recueil un intérêt capital pour les cinéphiles.

Malgré tout, et c’est là que le bât blesse, Passeport pour Hollywood ne peut échapper au principal écueil de son registre : celui de la dépendance à l’interviewé. Il faut dire que les 6 entretiens sont par moments assez inégaux : quand Wilder ou Forman par exemple nous offre à nos yeux émerveillés une masterclass intime de leur travail, celui avec Huston semble plus déconstruit et moins approfondi (mais la faute semble plus imputable à la psyché virevoltante du metteur en scène qu’à un manque d’effort de l’auteur). Malgré ses différences qui tendent à effacer le fil rouge de l’ouvrage au profit d’une fragmentation réflexive en six parties, Ciment arrive pas-à-pas à tirer subtilement de ses invités une substance qui, même dans ses temps faibles, arrive à être dans le haut du panier.

Dès lors, c’est lorsque l’on envisage le livre par son propre prisme, celui d’un puzzle de chroniques animé par une même ambiance, que se révèle un ouvrage passionnant, où les rajouts de cette nouvelle édition ne font que polir un diamant déjà bien étincelant. Certes inégal, Passeport pour Hollywood reste à n’en pas douter un ouvrage à mettre dans les mains des cinéphiles, passionnés de l’Âge d’or comme du Nouvel Hollywood, pour pouvoir en apprendre un peu plus sur ce qui se passe derrière la caméra. Et permettre, grâce à un des maîtres français de la critique, d’en apprendre un peu plus sur des cinéastes qui, pour certains, nous ont tant influencé et marqué dans nos visionnages.

Passeport pour Hollywood est disponible chez Carlotta.