Post Mortem
Post Mortem affiche

2021

Réalisé par: Péter Bergendy

Avec: Viktor Klem, Fruzsina Hais, Judit Schell

Film fourni par Condor Films

Les intentions artistiques les plus prononcées peuvent naître de bien tristes entraves. Durant l’ère socialiste qui a marqué l’Histoire de la Hongrie, le cinéma est observé par les instances dirigeantes, sévèrement contrôlé et souvent même ouvertement censuré. Dans cette époque troublée, les films d’horreur sont ainsi purement et simplement bannis, qu’ils viennent d’ici ou d’ailleurs. Pourtant, et comme c’est souvent le cas pour les cinéphiles aventureux, un commerce parallèle se met en place et les œuvres s’échangent sous le manteau, créant une fascination pour toute une génération bravant l’interdit. Parmi ces rebelles de la culture se trouve le jeune Péter Bergendy qui affûte son œil pour poser les bases de ce qui sera son parcours artistique. Aujourd’hui, la Hongrie est devenue une démocratie dans laquelle tous peuvent s’exprimer, et le réalisateur assouvie enfin ses envies de cinéma horrifique. En 2020, il propose entre autres Post Mortem, un long métrage où règne l’angoisse, qu’il portera 2 ans plus tard en compétition au Festival de Gérardmer.

Son film est solidement ancré dans l’Histoire de son pays, et prend place à une époque où la Hongrie souffre de mille maux funestes: nous sommes en 1919 et le peuple panse à peine les blessures de la Seconde Guerre mondiale. Parmi les rescapés du front, Tomás (Viktor Klem) vit désormais d’un bien étrange commerce: il propose à ses clients de photographier les dépouilles de leurs proches, en les mettant en scène, pour leur offrir un ultime souvenir. Son chemin croise celui d’ Anna (Fruzsina Hais), une toute jeune fillette qui requiert son aide. Son village, décimé par la grippe espagnole, est en proie à des manifestations fantomatiques qui terrorisent la population. Ensemble, il tente de lever le voile sur le mystère, au péril de leur vie.

Post Mortem illu 1

Post Mortem propulse donc son intrigue dans un lieu bien particulier. Isolé de tout, le village apparaît comme une parenthèse, un espace perdu où le temps est suspendu, entre passé mortifère et avenir incertain. Un endroit comme il en existe tant à l’époque, dans une Hongrie morcelée qui doit se reconstruire, aussi bien socialement que géographiquement. Ce que la guerre n’a pas arraché aux hommes, la maladie s’en est chargée, semant mort et désolation. De quoi offrir au film une conséquence logique mais intrigante à l’écran: la plupart des protagonistes secondaires sont des femmes, livrées à elles-mêmes. La vision noire d’un passée traumatique s’affirme donc comme le thème central du film, du propre aveux du réalisateur, le moteur de son œuvre qui par le biais de l’horreur, jette un coup de projecteur sur une époque trouble pour entretenir le devoir de mémoire au fil d’une grammaire originale.

Pour autant, malgré l’obscurité de fond de son scénario, Post Mortem prend le parti de jouer le contre-pieds visuel total. La dominance de blanc est particulièrement prononcée, sans qu’elle soit synonyme de refuge pour le spectateur. La neige ou les maisons sont ainsi parfaitement immaculées, jusqu’au moment où la corruption les gagne, créant un sentiment de maladie qui se propage au gré des manifestations surnaturelles insufflant des teintes plus sombres. Grâce à cette idée omniprésente, Péter Bergendy crée le malaise chez le spectateur, et offre à son horreur une toile vierge qu’il peut tenir de ses coups de pinceaux filmiques, proposant notamment les spectres sous la forme d’ombres insaisissables. Symboliquement, un enfant est habillé d’une cagoule blanche censée éloigner les mauvais esprits, mais ce maigre vêtement ne le protège finalement de rien. 

Post Mortem illu 2

Un élément de mise en scène qui accentue une autre volonté de Post Mortem: questionner le spectateur sur son rapport à la croyance. Les rituels païens semblables à l’accoutrement de l’enfant sont régulièrement évoqués, comme en témoigne un dialogue relatant une tentative d’exorciser le village par de la sauge. Cet espace de mysticisme occulte est rendu possible par la perte des repères liés à l’impossibilité d’accomplir les rites chrétiens, pourtant profondément ancrés dans la vie du village. Un curé est ainsi montré, mais il n’est plus que cadavre; des pierres tombales s’affichent également à l’écran, toutefois uniquement après que le long métrage n’est établi l’incapacité des villageois d’enterrer leur morts, car le sol gelé refuse d’être creusé. La terre à rejeté le divin, et le maléfique peut dès lors se propager dans tous les espaces libres et dans toutes les chaumières.

Outre les ombres, omniprésentes, Post Mortem joue aussi de dimensions sensorielles autres que le visuel propre. L’effroi s’éprouve aussi bien de manière très prononcée, par les sons glaçants, de façon directe, que par les histoires que relatent les protagonistes, de manière indirecte mais au centre de la construction scénaristique. La communication avec l’au-delà est le dilemme du récit, et y parvenir est la clé de sa résolution, le cœur de la problématique que propose Péter Bergendy. Le spectateur est clairement interpellé, et confronté à son propre ressenti quant à la manipulation des cadavres, par Tomás initialement, puis face à celles qui sont le fruit de l’occulte par la suite. Le cinéaste questionne l’inconscient de son public dans son rapport à la mort, décrivant en interview son film comme un test de Rorschach mystique inspiré des toiles du XIXème siècle.

Post Mortem illu 3

Tomás synthétise à lui seul la frontière poreuse entre vie et trépas, et ce dès l’entame. Outre son métier, une expérience de mort imminente sur le front est proposée pour le définir, avant même le générique de début du long métrage. Son associé sur les foires et les marchés s’approprient même ses souvenirs de cet accident pour marchander un récit à même de satisfaire les foules . Tomás à un pied solidement ancré dans le passé, et sa rencontre avec Anna symbolise sa réunion avec un futur qu’il doit affronter pour pouvoir évoluer. La dynamique entre les deux personnages fonctionne, même si le jeu est parfois simpliste. Leur couple est soudé et équilibré, au moins dans son écriture, et attachant au premier degré. Le dialogue entre l’adulte et l’enfant voulu par Post Mortem s’opère.

De cette alchimie résulte une mission: Tomás et Anna deviennent des passeurs d’âmes. Bien loin de fuir l’épouvante, il tentent de comprendre la volonté des morts et ce qui les retient sur terre. Post Mortem apparaît presque comme un polar mystique, un véritable film d’enquête occulte où les héros sont des Charon hongrois guidant les esprits égarés. Passé et avenir ne font plus qu’un pour que la paix se trouve, dans un pays morcelé, en quête de reconstitution et de sérénité envers son passé récent. L’étincelle de l’espoir est vacillante, mais est entre les bonnes mains.

Post Mortem respire l’amour du genre horrifique et fourmille de bonnes idées, souvent originales, pour dialoguer entre passé, présent et avenir. Davantage qu’une simple proposition angoissante, le film interroge avec force.

Post Mortem est disponible chez Condor Films, avec en bonus:

  • Entretien avec le réalisateur
  • Scènes coupées inédites
  • La conception des effets visuels

Nicolas Marquis

Retrouvez moi sur Twitter: @RefracteursSpik

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