Enquête sur un scandale d’État
Enquête sur un scandale d'état affiche

2022

Réalisé par: Thierry de Peretti

Avec: Roschdy Zem, Pio Marmaï, Vincent Lindon

Film fourni par Pyramide Films

En mai 2016, Libération met le feu aux poudres. Dans une série d’articles incendiaires, mais toujours dans le respect des règles éthiques du journalisme, la plume d’Emmanuel Fansten met en lumière les errances dramatiques du système français de lutte contre le commerce de drogue. Au cœur des dénonciations que le quotidien entend exposer, la politique de circulation contrôlé de cannabis, orchestré par l’Office Central pour la Répression du Trafic Illicite de Stupéfiants (l’OCRTIS), se voit mis à mal et est accusé d’alimenter le business illégal, et ses gros pontes, davantage qu’il ne les combat. C’est tout une organisation qui s’effondre alors, tout un culte des apparences et du chiffre à n’importe quel prix qui est enfin mis à jour. De cette affaire, Emmanuel Fansten tire un ouvrage, L’Infiltré, un véritable succès de librairie et une base de travail fournie pour Thierry de Peretti qui signe son adaptation cinématographique: Enquête sur un scandale d’État.

Le titre du livre originel donne une indication forte: aussi brillant et courageux soit le travail de Emmanuel Fansten, renommé Stéphane Vilner dans le long métrage et interprété par Pio Marmaï, rien n’aurait été possible sans que la loi du silence ne se brise, grâce à un témoin clé, Hubert Avoine, ici appelé Hubert Antoine et campé par Roschdy Zem. Seul face à une machine implacable, cet homme a su se rebeller et dénoncer les dérives mortifères de la lutte contre le trafic, lui qui a été un infiltré pour le compte de l’État, organisant par exemple réception et garde de centaine de kilos de drogue voués à rester en libre circulation, sur ordre des institutions. Dans sa cible, celui qu’il a un temps considéré comme un père spirituel avant qu’il ne l’abandonne, François Thierry, ancien patron de l’OCRTIS, sous le patronyme de Jacques Billard dans le film et incarné par Vincent Lindon. Une machination parfois invraisemblable, mais que les différentes enquêtes judiciaires ne cesseront de confirmer au fil des mois.

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À travers les retournements de situation du long métrage, et au gré de ses révélations, une infernale machine se dévoile, pilotée par des instances dirigeantes déconnectées d’une réalité du terrain. Dans un discours enflammé, Jacques Billard provoque l’effroi du spectateur en clamant que pour faire du chiffre, intercepter la marchandise illicite ne sert plus à rien, qu’il suffit de la suivre pour arriver à son but. Même son de cloche face au procureur de la République, rapidement aperçu sous les traits de Valeria Bruni-Tedeschi, alors que Billard défend sa position que la justice commence à percevoir comme trouble. Une grande hypocrisie semble habiter ce personnage douteux, à la moralité sombre, avant que le film ne nuance davantage son parcours et témoigne d’un basculement dans l’illégalité progressif. Il n’en reste pas moins que les articles de Libération, L’infiltré, ou Enquête sur un scandale d’État mènent une fronde claire contre le double jeu politique français.

Toutefois, malgré les révélations de plus en plus écœurantes que porte le travail de Stéphane Vilner d’un bout à l’autre du film, une forme d’immobilisme profond et ancré dans toutes les strates de la société se dessine. La sphère publique est presque exclue du récit, charge au spectateur de se faire sa propre idée, mais le refus des différents ministères à voir le problème en face apparaît effroyable. Conscients qu’ils foncent dans le mur, ils restent persuadés de leur bon droit et la vertu pourtant mise à mal par l’indignation face à ce que narre Hubert. Ceci dit, l’omerta qui régnait jusqu’à lors ne laissait pas d’énorme doutes à la réponse des institutions, y compris la justice qui met de longs mois à agir. C’est avec beaucoup plus d’étonnement que le reste du milieu journalistique adopte la politique de l’autruche. Entre ceux qui ne veulent pas “se griller” et ceux qui n’y croient tout simplement pas, les scènes de réunions éditoriales de Libération sont les seules oasis de vérité au milieu des autres publications, ou émissions télévisées, toujours loin de la réalité.

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Pour aborder son scénario aux ramifications multiples, Thierry de Peretti opte pour une approche esthétique proche du documentaire. Pas de fioritures dans sa mise en scène, même si on retient quelques visuels fort qui oppose Hubert et Stéphane, ou les affrontement avec Billard. D’instantanés en instantanés, alors que la parole se libère de plus en plus, le cinéaste capte des moments fugaces, dans une forme d’épure qui sied au cinéma vérité. Le réalisateur est au service de son histoire, n’exagère pas un scandale déjà parfois abracadabrantesque et pourtant véridique. Une forme de contre poids de forme et de fond aux récentes productions françaises mettant en scène la police en la glorifiant contre toute morale. Même les instants les plus intimes sont filmés de loin, régulièrement au milieu du vacarme d’une fête, accompagné d’un son parasité par le brouhaha. Enquête sur un scandale d’État se met en retrait pour mettre en avant ses héros.

Il n’en reste pas moins l’impression tenace d’assister à un film vagabond. Après une vie d’errance, Hubert, d’ailleurs initialement montré comme faisant les cent pas, ne trouve pas de foyer véritable grâce à ses divulgations et reste loin du réconfort. Outre sa situation affective annoncée comme complexe, le long métrage nous fait allègrement voyager de Paris à Lugano, en passant par Marbella, parfois pour étayer les dires de ce renégat, parfois pour offrir une simple respiration. Enquête sur un scandale d’État ne laisse pas de répit au spectateur, il l’entraîne dans une chute vertigineuse aux confins de ce qu’il est prêt à accepter, tout en imposant un rythme effréné. De quoi faire parfois tourner la tête, nous noyer dans un flot d’information dense, mais en accord avec le ton que veut offrir Thierry de Peretti.

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Pour autant, à l’essentiel de son film et dans ce qui en fait le cœur battant, le cinéaste s’attache avant tout au portrait d’un homme, insaisissable, fuyant, colérique parfois: Hubert. L’interprétation magistrale, comme toujours, de Roschdy Zem donne vie à cet homme et à ses contradictions. On peut légitimement s’interroger sur les motivations qui le conduisent là où il est au présent du récit, mais Enquête sur un scandale d’État a le bon goût d’ apporter quelques hypothèses pour combler ce doute. Parfois ami fidèle, parfois violent, le pivot du film devient un astre autour duquel gravite et vacille les dizaines d’autres figures, qu’il tient en otage de ses mots. Le long métrage, en accord avec l’histoire vraie, montre également un homme qui a cru jusqu’au bout à la grande machine: les confessions à Stéphane sont un derniers recours, alors qu’il a bel et bien tenté d’alerter les institutions auparavant.

De quoi affirmer le journalisme comme un contre-pouvoir indispensable à toute société démocratique, un levier du peuple, certes trop souvent bafoué, pour rétablir la vérité. Thierry de Peretti se démarque ici de L’Infiltré en mettant en scène Stéphane, offrant ainsi une vision vraisemblable de son métier. Grisé par les révélations autant qu’il en est affolé, il devient tel un papillon attiré par la lumière, dans une perte de repères de son bien être et du doute légitime, bien qu’il retombe toujours sur ses pattes. Le monde de l’édition, au moment où l’élaboration du livre montré à l’écran, est elle quelque peu malmenée, remise en cause dans son fonctionnement, mais n’en reste pas moins essentielle, elle aussi. Faits réels et fiction se rejoignent finalement: dans les deux cas, Libération a dû faire face à des procès en diffamation, qu’ils ont tous remportés. La vérité n’a pas de prix.

Thierry de Peretti offre une nouvelle dimension à l’histoire dont il s’inspire, grâce à cette déclinaison cinématographique. Enquête sur un scandale d’État est un thriller politique et judiciaire aussi prenant que révulsant.

Enquête sur un scandale d’État est disponible chez Pyramide Films, dans une édition comprenant également:

  • Scènes coupées
  • Commentaire audio du film par Thierry de Peretti, Claire Mathon et les comédiens
  • Discussion avec le journaliste Emmanuel Fansten
  • Regard d’un critique de cinéma

Nicolas Marquis

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