One Dark Night
One Dark Night affiche

1982

Réalisé par : Tom McLoughlin

Avec : Meg Tilly, Melissa Newman, Robin Evans

Film fourni par Rimini Éditions

De l’art de la pantomime au cinéma d’horreur, Tom McLoughlin effectue une bien curieuse transition en 1982. Élève émérite de Marcel Marceau durant ses jeunes années, reconnu pour ses talents par le monde hollywoodien avec qui il collabore régulièrement, le détenteur d’un Grammy pour ses envolées burlesques aspire à changer de peau pour se muer d’interprète à metteur en scène. Loin de la poésie lunaire de son maître, c’est dans le registre de l’épouvante qu’il laisse pleinement s’exprimer sa vision macabre du monde et d’une jeunesse en perdition. À l’orée des années 1980, les films sanglants sont alors en plein essor. Les slashers particulièrement en vogue assurent généralement de larges recettes au box-office pour des coûts de production relativement faibles. À l’écran les morts reviennent à la vie, les tueurs iconiques tyrannisent les adolescents esseulés et Tom McLoughlin s’engouffre dans le sillon tracé précédemment par Halloween, Vendredi 13 ou encore Evil Dead pour livrer la première de ses nombreuses réalisations horrifiques, One Dark Night. En quête d’originalité dans un genre hautement codifié, le cinéaste souhaite néanmoins affirmer sa différence. La jeunesse américaine reste au cœur du récit, mais en complète opposition avec ses semblables, le long métrage refuse la vue de sang. Dans un flirt permanent à la lisière de la mort, les cadavres qui s’animent à l’écran et se jettent sur les protagonistes sont vidés de leur fluides, créant ainsi un contraste profond entre la vie naissante des héros et la froideur macabre de corps décharnés, revenus de temps immémoriaux. One Dark Night est une funeste chorégraphie dans laquelle présent et passé s’affrontent, désormais disponible en Blu-ray et DVD dans la collection angoisse de Rimini Éditions.

Jeune lycéenne peureuse et solitaire, July (Meg Tilly) aspire à être acceptée au sein d’une sororité d’adolescentes exubérantes surnommées les Sisters. Pour rejoindre leurs rangs, elle est soumise à une succession d’épreuves vicieuses qui illustrent la perversité de ses camarades et la jalousie de la meneuse de la bande, Carol (Robin Evans). Pour son ultime rite de passage, July est invitée à passer la nuit seule dans un mausolée. La pénombre s’empare du cimetière et les Sisters projettent de pénétrer dans le lieu sacré pour terroriser leur victime mais leurs blagues douteuses sont progressivement perturbées par les manifestations d’une force occulte omniprésente. Récemment décédé et inhumé dans le mausolée, le télékinésiste de génie Raymar revient d’entre les morts, ranime un à un les cadavres et déchaîne sa colère sur les jeunes adolescentes. À l’autre bout de la ville, Olivia (Melissa Newman), la fille de l’adepte des sciences ésotériques, prend conscience qu’elle a hérité des facultés de son père et perçoit mystiquement la détresse des Sisters.

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Au cœur de ténèbres insondables, One Dark Night matérialise l’invisible. Raymar est le dépositaire d’une vérité supérieure dont les protagonistes sont exclus, mais qui est vouée à s’abattre sur eux dans un déferlement de haine. Progressivement, l’imperceptible devient tangible et ce que les esprits étriqués refusaient de voir s’impose à eux. L’antagoniste du film reste ainsi longuement exclu du récit, reclu dans son caveau, et seule une aura lumineuse qui émane des fissures de sa stèle le rend présent. Pourtant, au sommet de l’horreur, le garant des forces occultes finit par s’extirper de son cercueil pour se montrer à la vue de tous. Les frontières de la réalité sont poreuses, les règles établies du monde connu s’effacent lentement pour laisser la place aux expressions irréfutables d’une colère maléfique. Ainsi, dans l’entame du récit, une galerie de personnages pragmatiques remet constamment en question les facultés de Raymar, le qualifiant souvent de charlatan. Le mari d’Olivia, interprété par Adam West, balaye les preuves qui lui sont présentées pour se réfugier dans l’accomplissement méthodique de tâches administratives rébarbatives. Pourtant, dans un jeu diabolique avec le spectateur, Tom McLoughlin ne cesse d’illustrer un monde inconnu dont l’existence est bientôt incontestable. D’abord à travers une succession de photographies, puis à travers des enregistrements sur cassette, le cinéaste installe un doute légitime. Enfin, dans la frénésie de mort qui s’empare du mausolée, d’étranges éclairs s’échappent des yeux de Raymar, manifestations visuelles enfin concrètes d’un pouvoir caché. Une énergie de l’âme initialement hypothétique, drainée chez les victimes des atrocités, devient explicite. One Dark Night entraîne le public sur une autre terre, où les principes spatio-temporels sont malmenés. En octroyant à Olivia un don de prescience, le film morcelle sa chronologie, tandis que le futur se dévoile dès l’entame.

En guise d’ultime transgression envers les lois de la nature, One Dark Night s’affranchit des limites entre vie et mort. Animés par une énergie paranormale qui les fait léviter, les défunts arpentent les couloirs du mausolée, affamés de chair. Raymar s’est réveillé du sommeil éternel, il a triomphé du trépas, explorateur de l’autre monde, en s’abreuvant de la force juvénile de ses victimes qu’il absorbe comme un vampire, selon l’image offerte par le long métrage. Les émotions négatives que provoque la peur sont aspirées par le défunt, devenant le carburant qui l’anime dans son errance macabre. Néanmoins, l’effroi initial de July n’est pas le fruit des discrètes manifestations de la présence spectrale du mort, mais bien des mauvais tours des Sisters. En voulant piéger la protagoniste, les cruelles adolescentes ont ranimé le telekinesiste, creusant leur propre tombe par leur vice, et se voyant en définitive punies pour leurs turpitudes morales. Les rebonds horrifiques du film reposent ainsi initialement sur les blagues de la sororité, censées effrayer le spectateur autant que July. Tom McLoughlin y consacre en conséquence une grande partie de son film mais échoue malheureusement souvent à inviter l’effroi dans ses élans potaches. La certitude que les morts se réveilleront et réclameront une rétribution face à la profanation de leur dernière demeure crée un sentiment d’attente que le cinéaste fait trop tirer en longueur. 

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Pourtant, la lenteur du récit semble être un choix du réalisateur qui illustre cette volonté lors de la scène prévisible d’ouverture des cercueils. Animés par une énergie mystique, les décédés s’extirpent de leur caveau sur un rythme particulièrement traînant, pourtant leurs futures victimes sont apathiques face à ce réveil. La fatalité d’une mort qui s’impose à elles les prive d’une fuite inutile. Le mausolée devient un lieu étrange où les défunts et les vivants cohabitent. Si dans l’entame de One Dark Night, les dalles de marbre des stèles séparent ostensiblement chacun des deux mondes, l’ouverture des sépultures bouleverse ce dogme désormais friable. Tom McLoughlin exacerbe à l’écran sa propre expérience. Lors de ses jeunes années d’étudiant à Paris, la visite des cryptes de la capitale a provoqué chez le cinéaste la sensation étrange que dans ces espaces hors du temps, la frontière entre passé et présent est poreuse. L’âme des morts est invisible, mais elle habite cette ultime demeure, et July doit payer le prix de son irrespect dans le long métrage. Une chapelle est ainsi montrée dans One Dark Night sans qu’elle constitue un refuge pour la protagoniste. Au comble du désespoir, elle se replie vers ses croyances, mais il est déjà trop tard. La colère de Raymar fait voler les bancs et les crucifix, les dieux détournent le regard et laissent la place à une rage vengeresse d’outre-tombe.

Si Raymar est l’incarnation diabolique de la colère, One Dark Night condamne à part égale l’immoralité d’une jeunesse hypocrite. La descente aux enfers littérale du film est rendue possible par une dégringolade plus allégorique de l’équilibre des rapports sociaux entre adolescents. July reste un idéal de vertu mais son envie aveugle d’appartenir à un groupe défini l’a conduit à trahir ses principes et ainsi provoquer sa déchéance. Le long métrage n’a de cesse de dénoncer la duplicité des Sisters, évoquant constamment la jalousie et la désunion qui règne dans la bande, jusqu’à proposer une séquence au cours de laquelle la protagoniste du film est droguée à son insu. La perversion des relations humaines décadentes terrifie tout autant que le telekinesiste qui s’alimente du vice des adolescentes. Les jeunes filles ne partagent qu’un simple blouson, leur amitié n’est qu’une façade derrière laquelle se cache des différences idéologiques fondamentales. Si les costumes les rendent semblables, leurs moralités diffèrent profondément. Face à une envie de conformisme idiote, l’affirmation de son identité est la seule voie vers l’épanouissement et la survie au bout de la nuit. Par peur d’être seul ou stigmatisé, l’humain se rend coupable du pire, mais une justice karmique ici diabolique jugera les actions de chacun au terme du périple. Le croquemitaine de One Dark Night se métamorphose alors en prolongement de cette idée et Tom McLoughlin souligne l’emprise néfaste des Sisters en montrant l’aura de Raymar d’un éclat violacé qui renvoie inévitablement aux blousons des filles de la bande, antagonistes plus implicites. Le cercle d’amies, gangréné par la haine, est destiné à se fragmenter et seules les plus vertueuses pourront échapper à un sort tragique. July est victime des autres lycéennes, et à ce titre le film fait preuve d’empathie envers elle, mais une autre Sisters est également épargnée, sauvée par son refus de se joindre aux mauvaises blagues de ses pairs. À l’inverse, celle qui a suivi Carol jusqu’au bout de ses actes pernicieux devra mourir à ses côtés, unie dans une même agonie. En évoquant rapidement un rituel de passage et d’acceptation analogue pour les hommes de la même génération, One Dark Night étend sa triste peinture sociétale. Le film n’accuse pas les femmes, il pointe du doigt les travers de toute une jeunesse.

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Aux vues de l’entame du film qui montre un amoncellement de cadavres de jeunes femmes dans l’appartement de Raymar, il apparaît même évident que One Dark Night offre aux personnages féminins un statut de victime expiatoire absent pour les hommes. Le telekinesiste est un vieil homme ivre de pouvoir qui se délecte de l’effroi des adolescentes dans une quête de puissance irraisonnée. Sans basculer dans une évocation de la prédation masculine, le long métrage installe tout de même vaguement l’idée qu’une ancienne garde se repaît d’une jeunesse inconsciente de l’éphémérité de sa jouvence. Les personnages féminins pensent que leur fougue sera éternelle, pourtant, revenue de l’autre monde, la vieillesse vient les vider de leur force, aussi métaphoriquement que concrètement. Les âges reculés deviennent une réalité qui s’imposent à elles, mais le drain d’énergie propre à Raymar confronte également les spectateurs à des protagonistes lascives, uniquement mues par la force de leur volonté, au comble de l’épuisement. Par ailleurs, les adolescentes se retrouvent opposées à une vérité mystique dont les personnages masculins sont le plus souvent inconscient. One Dark Night propose bien un preux chevalier en la personne du petit ami de July, qui semble être un temps son chemin vers le salut et qui évoque un fougueux héros des contes de fée, à ceci près que le cheval est remplacé par une motocyclette. Toutefois, Tom McLoughlin souligne son impuissance. Même dans le mausolée, il se révèle profondément passif. La seule voie vers la survie est incarnée par Olivia, une femme décidée a affronter son ancêtre.

L’héritage des facultés du père s’inscrit dans une mise en opposition plus implicite entre deux générations. Raymar a utilisé son don pour semer le chaos, Olivia est appelée à se l’approprier dans un idéal de justice et de bienveillance. D’une proportion au paranormal d’abord reniée par la fille du télékinésiste, le récit bascule dans une acceptation du leg pour lui offrir une nouvelle mission, vertueuse. En acceptant ce qu’ils sont, les enfants sont destinés à être eux-mêmes pour tracer un sillage vers une nouvelle société, affranchis des péchés de leurs aînés, des tensions sociales et de la peur. Puisqu’elles sont livrées à elle-même, les femmes de One Dark Night doivent accepter l’abandon pour s’affirmer. Le pouvoir leur appartient, l’avenir aussi. Constamment, le film souligne la démission des parents, à travers le reniement de sa fille auquel a succombé Raymar, mais aussi lorsque la mère de July est clairement montrée comme absente, ou lorsque Tom McLoughlin ne laisse percevoir la voix des parents de Carol qu’en hors champs. Sans cadre, la jeunesse doit évoluer seule et sans repère, en apprenant de ses erreurs les plus immorales. L’autorité des aînés n’existe plus.

Pur produit du cinéma d’horreur de son époque, One Dark Night pose un regard acerbe sur la jeunesse des années 1980, en la confrontant à la fatalité d’une vieillesse qui les guette déjà avec défiance.

One Dark Night est disponible en combo Blu-ray / DVD chez Rimini Éditions, avec en bonus : 

  • Un livret de 24 pages de Marc Toullec

Nicolas Marquis

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