Dans les yeux de Tammy Faye
Dans les yeux de Tammy Faye affiche

(The Eyes of Tammy Faye)

2021

Réalisé par: Michael Showalter

Avec: Jessica Chastain, Andrew Garfield, Cherry Jones

Dans un pays comme les USA où jurer sur la bible est une norme institutionnalisée, les longs métrages tournant autour de la religion catholique sont toujours scrutés d’un œil attentif. Souvent prompts à une critique des forces en place, ces films ont un devoir de réflexion indispensable pour prendre du recul avec les dogmes américains. En s’inscrivant dans le cadre d’une histoire vraie, un véritable scandale religieux des années 90, Dans les yeux de Tammy Faye aurait dû épouser cette lignée. Pourtant, il n’en est rien, la proposition de Michael Showalter démissionne de toute mission profonde.

C’est du destin de Tammy Faye Bakker (Jessica Chastain) qu’il est question dans le film. De son enfance de jeune fille frappée toute petite par la ferveur religieuse, à son parcours de femme reignant avec son despotique mari Jim (Andrew Garfield) sur un empire télévisuel de chaînes catholiques, ce personnage exubérant, au lourd maquillage, cache un sombre secret: l’argent des dons qui afflue lors de ses émissions est détourné pour le plaisir de Tammy Faye et Jim.

Et Dieu dans tout ça ?

Il semblait donc évident que Dans les yeux de Tammy Faye allait mener une forme de fronde contre certains aspects du catholicisme: son parfum de polémique l’y invitait parfaitement. Il n’en est rien, Michael Showalter et son scénariste Abe Sylvia font le choix de se dédouaner perpétuellement de toute portée critique sur la religion. Ainsi, l’existence de Dieu est un fait établi concrètement, l’épiphanie de Tammy Faye n’est ponctuée d’aucun doute. Même les modes de diffusions de la foi, comme ces super-church télévisées qui constellent les USA, ne voient jamais leur fonctionnement réellement questionné. On nage dans un mélange de charabia religieux, qui s’offre le panache de se contredire: Andrew Garfield déclame que Dieu ne veut pas que ses fervents souffrent, et pourtant le déroulé du long métrage affirme le contraire.

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Dès lors, Dans les yeux de Tammy Faye ne vaut plus que pour son aspect success story et sa structure habituelle faite de hauts et de bas. Un schéma éculé jusqu’à l’os dans lequel se repaît Michael Showalter paresseusement. On devrait s’extasier devant le luxe tapageur des villas de Tammy Faye et Jim, mais on ne fait que s’ennuyer dans ces couloirs infinis. La palme de l’audace, pas celle des braves mais celle des inconscients, revient sans doute au choix affirmé de faire du couple de héros des victimes. Des milliers et des milliers de dollars ont beau avoir été détournés, nos deux pauvres protagonistes principaux n’ont jamais l’air accablés par le film. Au contraire, on leur trouve toutes les excuses du monde pour leur “petite erreur”: l’envie de bien faire, l’ambition altruiste, les errances de calcul… Tout y passe et devient problématique.

Tammy Faye et les hommes

Présente dans la course à l’Oscars 2022 de la meilleure actrice, Jessica Chastain nous propose un personnage prisonnier des circonstances, en retrait par rapport aux hommes d’influence de sa vie. Derrière son maquillage grotesque et son caractère légèrement allumé, Tammy Faye n’est que l’esclave du récit, d’une image qu’elle s’est créée de toute pièce, jusqu’à se la tatouer sur la peau. Que ce soit son mariage ou sa vie professionnelle, l’héroïne ne trouve pas le salut et se réfugie derrière le fard à paupières. Dommage que Jessica Chastain semble entêtée à en faire des caisses pour nous vendre sa prestation: son rire aigu vous hantera pendant de longs jours.

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Mais peut-on vraiment en vouloir à l’actrice ? Il semble pour le moins évident que toute la direction d’acteurs de Michael Showalter est complètement à revoir. On connaît pertinemment la qualité d’interprétation d’Andrew Garfield, Cherry Jones ou encore Vincent D’Onofrio, et pourtant ils apparaissent tous hors de ton, frappés par une volonté d’accentuer leur élocution complètement foutraque. Impossible dans ses conditions de créer une forme de cohésion d’ensemble: on n’admet pas le couple que forment Tammy Faye et Jim tout simplement parce que l’alchimie nécessaire à l’illusion du sentiment amoureux est absente du récit. En conséquence, les liens qui forcent Tammy Faye à toujours rester proche de cet être toxique sont incompréhensibles. Le prestige du numéro est raté.

Actes manqués

Plutôt que de développer sa propre histoire autour du scandale qui devait servir d’axe central à son film, Michael Showalter s’engouffre dans des brèches pour le moins inattendues. Faire de Tammy Faye une championne de la cause homosexuelle, durant les années SIDA, n’est pas que culotté, c’est irrespectueux. Dans une scène lunaire où la présentatrice de TV interviewe un homme gay, on sent le frisson de l’incompréhension nous parcourir. Non seulement Tammy Faye l’incite à livrer toute son intimité, sans ménagement, mais en plus le portrait qu’elle en fait flirte avec la thérapie de reconversion arriérée. Non content de sa petite pirouette lamentable, Michael Showalter se permet d’en remettre une couche pendant le générique de fin, affirmant que Tammy Faye a toujours été un soutien indéfectible aux homosexuels… On en doute pleinement.

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Tout cela invite à un constat que l’image conforte: Michael Showalter est un cinéaste de mauvais goût. Bien évidemment, la décoration tapageuse des habitations et l’exubérance du maquillage et des costumes faisaient partie du cahier des charges du film, et semblent s’inscrire dans une certaine cohérence avec la réalité que l’Académie des Oscars appréciera sûrement. Toutefois, c’est dans la mise en scène que la grossièreté du réalisateur s’exprime le plus: dans un final à mi-chemin entre l’imaginaire et la réalité, Tammy Faye est déifiée, montrée pleine d’allégresse en chantant, devant un drapeau américain. La lourdeur est totale.

Dans les yeux de Tammy Faye passe complètement au travers de son sujet, volontairement, pour se réfugier dans un tissu de banalités religieuses exaspérantes.

Nicolas Marquis

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