Les sentiers de la gloire

(Paths of Glory)

1957

réalisé par: Stanley Kubrick

avec: Kirk DouglasRalph MeekerAdolphe Menjou

Demain ont lieu les journées européennes du patrimoine et comme chaque année, des milliers de français vont se presser aux portes des monuments et des musées pour redécouvrir l’Histoire de notre pays. Vos Réfracteurs sont majoritairement de Verdun, une ville marquée à jamais par la Première Guerre mondiale et qui entretient son devoir de mémoire en proposant aux touristes de découvrir les champs de batailles et la vie des poilus. Pour rendre hommage aux disparus et pour permettre à ceux qui s’intéresse pour l’occasion à cette terrible époque d’aller plus loin, on vous propose nos réflexions autour d’un film: “Les sentiers de la gloire” de Stanley Kubrick.

Au plus fort des conflits armés, le général Mireau (George MacReady) va ordonner au colonel Dax (Kirk Douglas) une attaque désespérée sur une position allemande au prix d’un sacrifice humain insensé, par simple désir de gloire. Après un cuisant échec, Mireau va blâmer les soldats, exiger que trois d’entre eux, choisis plus ou moins au hasard, passe devant la cour martiale pour lâcheté et demander leur exécution. Dax va tenter désespérément de défendre ses hommes face à un système absurde.

Assez nettement, Kubrick va diviser son film en deux parties bien distinctes. Il y a d’abord la vie dans les tranchées et les combats que le maître restitue avec une authenticité terrifiante, puis une seconde moitié consacrée au jugement des soldats dans laquelle l’oeuvre va se transformer en thriller judiciaire.

Dans la première portion, Kubrick va faire étalage de tout son talent: on pense entre autres à la scène grandiose de combat où le cinéaste multiplie les prises de vues novatrices. Dax et ses hommes, au milieu des explosions, suivis caméra à l’épaule et restitués par des cadrages dynamiques qui n’ont pas pris une ride. Le réalisateur fait fort et marque les esprits.

Mais Kubrick s’épanouit également parfaitement dans la chronique plus calme de la vie des tranchées. Kirk Douglas, personnage principal de l’oeuvre, offre un panel d’émotions impressionnant pour représenter la guerre à l’échelle humaine, dans tout ce qu’elle a de plus abominable. Tout un langage cinématographique travaillé permet de donner vie à ce morceau du scénario.

« Capitaine Kirk »

On pense notamment à un plan séquence génialissime où Mireau inspecte ses troupes: en deux petites minutes, Kubrick va capter ce que “1917” a du mal à atteindre en deux heures. Le général avance, s’arrête régulièrement vers ses soldats, rabâche sans cesse les mêmes phrases stéréotypées pour leur donner un courage factice, puis réprimande un soldat traumatisé par les événements, le traitant de couard. Tout cela, dans un seul et unique mouvement de caméra immerge le spectateur au coeur des tranchées.

Cette séquence, c’est aussi l’occasion d’imposer des visages marqués par la guerre et des hommes au faciès à jamais détruit, des gueules brisées. Le réalisateur se fait témoin de l’Histoire dans un ballet de soldats millimétré. Tout l’enjeu du film est déjà là: démontrer l’inhumanité de la guerre, orchestrée par des élites bien planquées dans leur bunker.

C’est encore plus criant dans la deuxième moitié du film, celle de la course contre la montre de Dax pour tenter de sauver ses hommes de la cour martiale. Les hauts gradés vivent dans un luxe et une opulence indécente mise en parallèle avec la misère des champs de bataille. Kubrick va faire feu de tout bois, crachant à la figure de ces nantis qui donnent des ordres insensés, d’une justice complètement fantoche et sans honneur, puis même plus subtilement d’une église hypocrite et complice alors qu’un curé accompagne les soldats dans leurs derniers instants.

Le réalisateur théorise (déjà) la folie des hommes seulement soucieux de leur gloire personnelle et qui rejettent sur les autres le blâme de leurs échecs. En décrivant une chaîne de commandement complice de l’atroce, Kubrick s’attaque à l’image fantasmée de l’armée pour la déconstruire totalement. Chaque réplique devient alors une pierre de plus apportée à l’édifice de l’horreur et de l’inhumanité.

Classique absolu, “Les sentiers de la gloire” est un témoignage poignant d’une époque atroce, servi par un génie du septième art au sommet de sa forme, accusateur et pertinent.

Nicolas Marquis

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