2021

Réalisé par: Sushmit Ghosh, Rintu Thomas

Avec: Meera Devi, Suneeta Prajapati, Shyamkali Devi

Film fourni par Autlook Filmsales

Dominé par le système des castes qui crée des citoyens de seconde zone, l’Inde fait face aux défis du 21ème siècle. Alors que la modernité technologique gagne le pays, les femmes sont toujours ostracisées, mises au ban d’une société où la domination masculine reste la norme. Pour ces opprimées, internet est devenu un outil de résistance, un espace où elles peuvent s’exprimer ouvertement. Cette liberté est toutefois synonyme de danger pour celles qui s’y adonnent: bien méfiants sont ceux qui voient leurs privilèges vaciller sur l’autel de l’égalité espérée. Pour tracer une voie vers davantage de parité, des pionnières sont indispensables et c’est à elles qu’est dédié Writing with Fire de Sushmit Ghosh et Rintu Thomas.

Le documentaire, présent dans la course aux Oscars, propose de suivre la vie d’un journal, le Khabar Lahariya, au fil de ses reportages. Cependant, sa publication n’a rien d’anodin: le médium est tenu entièrement par des femmes, qui plus est des dalites, une caste considérée comme impure. Face aux puissants de l’Inde, ces courageuses journalistes se dressent pour faire face aux injustices et aux mensonges politiques, avec pour seules armes leur témérité et leurs smartphones. C’est au rythme de ses supers héroïnes du quotidien qu’on navigue dès lors pendant environ 1h30.

Des femmes inflexibles

Writing with Fire a tout du film résistant, porteur à la fois d’une mission essentielle dans la lutte pour l’égalité, et également d’une remise en perspective capitale pour le public occidental qui prend conscience de maux qui gangrènent l’Inde encore aujourd’hui. Il n’y aura pas de victoire dans le combat pour la parité tant que la victoire ne sera pas internationale, et les visuels offerts par le documentaire mettent en lumière des combattantes acharnées de cette guerre. Chaque visage qui se découvre, chaque destin qui s’esquisse, chaque journaliste qui s’affirme, force l’admiration: seules faces aux paysages de leur contrée, telles des exploratrices face à l’immensité, les femmes du Khabar Lahariya existent.

Si chacune d’entre elle semble habitée par la foi inébranlable que le journal peut faire évoluer le pays qu’il dépeint, leur acharnement se confronte aux diktats d’un monde dominé par l’homme. Le film fait le choix de ne pas arreté les portraits de femme qu’il prodigue à leur simple métier, mais de laisser également courir la caméra dans leur intimité, quand les lumières s’éteignent. Leur métier se heurte déjà aux moqueries et à l’indifférence des instances dominantes, mais bien maigre semble le réconfort du foyer. Un mari tourne en dérision la portée du journal en le décrivant comme voué à l’échec, un père ne comprend pas la vocation de sa fille pour la vérité, un mariage arrangé perturbe la vie du Khabar Lahariya … Diffcile de trouvé du soutient, à plus fortes raisons lorsqu’un intervenant déclame ouvertement que “Tout le monde veut épouser une fille éduquée, personne ne veut d’une femme qui travaille”.

Profession: reporter

Pourtant Writing with Fire ne manque pas de positivisme: les moqueurs peuvent bien s’en donner à coeur joie, le Khabar Lahariya prospère et gagne chaque jour un nouveau public. Ses reporters sont de véritables pourfendeuses d’injustice, avec le poids de l’information comme glaive. Souvent là où on ne les attend pas, et surtout là où les autres médias n’osent pas aller, le journal s’échine à venir au plus proche de la population qu’il veut mettre en lumière. Une affaire de viol désinteresse les autres journalistes ? Alors le Khabar Lahariya se rendra sur place, receuillera les témoignages, confrontera les suspects. Rien ne saurait arrêter ces dames de justice, pas même l’influence politique de certains dirigeants hermétiques aux questions du journal, et se retranchant derrière des promesses religieuses farfelues en guise de programme électoral.

Explicitement, c’est l’ascendance d’un quatrième pouvoir, le journalisme, qu’expose Writing with Fire. Les enquêtes du Khabar Lahariya font bouger les lignes: durant une courte séquence, on nous propose de jauger là où le travail de reporter à porter ses fruits. Une route refaite, l’irrigation d’un village réparée, le problème d’insalubrité d’un habitat enfin résolu… La quête de ses femmes n’est pas vaine, la parole libérée permet de bouleverser le paysage, par petites touches discrètes mais salutaires. Le Khabar Lahariya est l’écho de milliers de voix jusqu’alors muettes, et le nombre florissant de followers sur la chaîne Youtube du journal atteste de toutes ces victoires, même si les insultes apparaissent parfois dans les commentaires.

Nouvelle technologie

Internet se révèle d’ailleurs être un autre challenge qui s’impose devant le Khabar Lahariya. La transformation des modes de consommation de l’information est au centre du documentaire, alors que le journal entame sa transition du papier au numérique. Dans des scènes triviales, on mesure l’étendue du défi pour ses femmes, tout en constatant à nouveau leur obstination inflexible. Certaines n’ont jamais tenu un téléphone de leur vie, et il faut tout apprendre, du déblocage du cellulaire à la façon de l’employer comme une caméra. L’enthousiasme l’emporte au fil de ces métamorphoses: outre le fait d’éduquer ses employés (l’alphabet anglais est totalement inconnu de certaines), le Khabar Lahariya réfléchi aussi la façon dont il délivre ses nouvelles, cherchant à marier ses principes profonds et le confort de visionnage des spectateurs. En changeant de forme, le journal devient une institution.

Dans cette plongée passionnante au cœur du métier de journaliste dans un pays où tant reste à faire, Sushmit Ghosh et Rintu Thomas varie la forme. Le plus souvent, le duo de cinéaste reste en retrait: les stars de Writing with Fire sont ses intervenantes, et même si la réalisation propose parfois des visuels plus travaillés, souvent des reporters face aux paysages indiens, c’est dans la peau de spectateur privilégié qu’évolue le public. L’écran nous permet de voyager, et de n’être qu’à quelques centimètres de ses femmes hors norme au moment où elles posent leur question qui dérangent. À intervalles réguliers, Writing with Fire propose tout de même des entretiens plus posés avec les héroïnes du film, mais toujours frappés du sceau de l’authenticité: même dans ces instants plus installés, Sushmit Ghosh et Rintu Thomas réussissent à tirer le plus de sincérité possible de ces dames extraordinaires.

Writing with Fire est distribué à l’international par Autlook Filmsales et devrait être diffusé au printemps par France Télévision.

L’histoire du Khabar Lahariya se fait passionnante et captivante dans Writing with Fire. Un témoignage de l’abnégation et du don de soi pour le métier de journaliste, lorsque tout pousserait pourtant au silence. Un cri de révolte entendu.