(الرجل الذي باع ظهره)
2020
Réalisé par: Kaouther Ben Hania
Avec: Yahya Mahayni, Dea Liane, Koen de Bouw
Film vu par nos propre moyens
Alors que la Covid continue de catalyser les angoisses à l’échelle internationale, les problèmes de l’ancien monde n’ont pas pour autant disparu. Il serait dangereux et irresponsable d’arrêter de se soucier des maux qui frappent notre planète. Parmis ces mortifères problématiques, la crise en Syrie et le destin de ceux qui fuient la barbarie sont au centre de L’homme qui a vendu sa peau de Kaouther Ben Hania qui propose un angle d’attaque intriguant dans son oeuvre, à quelques centimètres du cinéma fantastique sans franchir la limite, en équilibre.
Cette histoire, c’est celle de Sam Ali (Yahya Mahayni), un jeune homme syrien follement épris de la belle Abeer (Dea Liane). Leur amour est cependant impossible, la demoiselle étant promise à un riche ambassadeur et sur le départ pour la Belgique. Pour fuir la persécution policière mais aussi pour retrouver sa dulcinée, Sam accepte de vendre son corps à Jeffrey Godefroi (Koen de Bouw), un artiste mondialement connu, qui tatoue dans son dos un visa pour dénoncer les difficultés de circulation des hommes, contrairement aux marchandises qui transitent librement. Dès lors, Sam passe ses journées assis dans un musée, exposant son corps. Rapidement, il comprend que le marché qu’il a conclu avec le créateur est loin d’être idyllique.
Ce lien qui unit les deux hommes se rapproche à plus d’un titre d’un pacte avec le diable, à l’image de Faust, mais où le corps remplacerait l’âme. C’est d’ailleurs ouvertement que Jeffrey Godefroi se compare à Méphistophélès dans la phase d’introduction du film. C’est sûrement dans cette relation que le film trouve un soupçon d’étrangeté et devient presque plus une fable qu’une chronique réaliste, avec énormément de charme. Kaouther Ben Hania joue de symboles qui fonctionnent parfaitement et invite efficacement le spectateur à régulièrement délaisser le premier niveau de lecture pour plonger dans la métaphore intelligente que construit la réalisatrice et scénariste du film. L’homme qui a vendu sa peau vaut avant tout pour l’interprétation personnelle qu’on y trouve.
Ce côté surréaliste assumé du récit trouve écho dans la photo de la cinéaste qui impose régulièrement une géométrie ensorcelante dans ses cadrages. Jeux de lumières et de couleurs rappelant celle du visa que Sam a dans le dos appuient aussi le sens esthétique du long métrage avec une certaine maîtrise et énormément de goût.
Utiliser la peau du héros comme symbole des inégalités mondiales apparaît également comme une idée séduisante: on invite ainsi dans le débat une réflexion originale sur le racisme alors que la couleur de l’épiderme catalyse généralement les préjugés les plus idiots. Ce corps, c’est également la seule vraie possession de Sam qu’on lui dérobe. On donne à la quête du personnage principal une nouvelle dimension: notre héros croit n’avoir rien à perdre et semble prêt à tout pour retrouver son amour.
Autant de couches dans le récit qui permettent une belle exhaustivité des dilemmes qui habitent les migrants, pris en étau entre le despotisme dans leur patrie d’origine et la précarité totale de leur vie en Europe, sans pour autant oublier de critiquer la défiance des autres Syriens, un brin jaloux du parcours de Sam. La Syrie, Kaouther Ben Hania à d’ailleurs l’intelligence de l’exposer rapidement mais sans grossir le trait. Inutile d’en faire des tonnes, on connait tous la situation du pays. La réalisatrice ne se défile pas et dénonce les dérives, mais elle semble vouloir rester relativement subtile.
L’homme qui a vendu sa peau s’apparente également à une sorte de conte de fée décadent: impossible de ne pas voir dans la relation entre Sam et Abeer la quête d’un chevalier voulant délivrer sa princesse. Toutefois, cet aspect de l’histoire est perpétuellement chahuté: Sam ne peut pas être un héros vaillant, la société ne lui permet pas et c’est un homme prisonnier de conventions étouffantes qui se retrouve au centre de cette spirale infernale. Malheureusement ce constat va de paire avec quelques faiblesses d’écriture, notamment au moment de conclure le film. Kaouther Ben Hania fait preuve d’une certaine naïveté alors qu’elle effectuait jusqu’alors un parcours sans faute.
On soulignera le talent d’acteur de Yahya Mahayni qui séduit grâce à une proposition très primaire, presque animale. Dans certaines scènes, le comédien se déplace avec une sorte de grâce proche de la danse. Surprise également au casting puisqu’on retrouve Monica Bellucci dans un rôle secondaire: pas de quoi s’en réjouir pour autant, la belle semble vouloir minauder à tout va dès que la caméra se pose sur elle.
Enfin, avant de conclure, on reste séduit par un autre axe de réflexion de L’homme qui a vendu sa peau, celui qui disserte autour de la place de l’art. La mission de Jeffrey semble de prime abord vertueuse mais on comprend rapidement que son narcissisme fait de lui un nouveau tortionnaire pour Sam. Doit-on aller vers toutes les extrémités artistiques pour dénoncer? Peut-on se permettre de sacrifier une vie pour aller au bout de sa démarche? Le film laisse intelligemment la question en suspens et laisse le spectateur se faire sa propre idée.
L’homme qui a vendu sa peau est distribué par BAC Films.
Grâce à son atmosphère étrange et l’intelligence de son contenu, L’homme qui a vendu sa peau se transforme en expérience intense et bouleverse nos convictions, malgré quelques défauts dans le scénario.