(The Song of Names)
2022
Réalisé par: François Girard
Avec: Tim Roth, Clive Owen, Catherine McCormack
Film fourni par Condor
Le cinéma a celà de particulier qu’il convoque autour de lui une multitude d’autres formes d’art. Au moment de nous livrer son Prodige inconnu, le réalisateur François Girard invite dans son œuvre son amour de la musique, plus particulièrement le registre classique. Rien d’étonnant de la part d’un artiste qui a plusieurs fois théorisé la place du musicien dans ses films, jusqu’à en faire une constante de sa vision du 7ème art. Quels sentiments profonds éprouve un homme seul face à son instrument, au moment de livrer la vérité de son cœur ? Quels étranges rouages du destin l’ont amené ici ? À qui destine-t-il ses mélodies ? Autant de questions auxquelles François Girard se confronte dans un mélodrame maîtrisé.
Dans un récit au long cours, s’étalant sur plusieurs décennies, le cinéaste dépeint le parcours de Martin (Tim Roth), d’abord tout jeune garçon aux premières heures de la Seconde Guerre mondiale, qui voit sa famille accueillir Davidl (Clive Owen), un enfant du même âge prodige du violon, pour parfaire son entraînement. Si le succès sourit au petit génie de la musique, la blessure d’avoir dû abandonner les siens, obligés de regagner la Pologne, ne s’est jamais refermée, et Davidl, vit dans le doute permanent: sont-ils des survivants, ou périrent-ils dans les camps de la mort ? Alors qu’il doit donner un concert qui le propulsera sur le devant de la scène, l’adolescent disparaît totalement. De nombreuses années plus tard, Martin part à la recherche de Davidl, à travers le globe.
La muse de la musique
Le Prodige inconnu, dans une cohorte de mélodies savamment choisies, fait le choix d’unir les violonistes, habités par une complicité commune implicite. Ce n’est probablement pas un hasard si le rival de Davidl est lui aussi un autre garçon juif, dans les mêmes tourments que l’un des héros du film. Au-delà des blessures communes, il semble qu’une camaraderie naisse entre les musiciens, comme s’ils étaient détenteurs d’une vérité cachée au public. Martin est souvent en marge du récit, ne comprend pas entièrement Davidl, tandis que les autres artistes du film, du plus prodigieux au plus humble, perçoivent que le violon n’est pas qu’un instrument, c’est le prolongement d’une voix qui gémit de douleur.
Dès lors, il convient de s’interroger sur les quelques très belles scènes musicales offertes par François Girard. Pour qui joue Davidl ? Le plus souvent pour soi, seul, refusant l’aide de professeurs pourtant émérites. Le garçon a besoin de communier avec son instrument. Toutefois, quelques séquences particulièrement émouvantes font état d’une sorte de sens du devoir du musicien. Alors que Londres se réfugie dans les abris anti aériens, Davidl se saisit de son violon pour calmer les foules, offrant par la même occasion une scène de joute avec son rival. À un autre instant, c’est seul face à la terre où ses ancêtres semblent avoir disparus que Davidl laisse pleurer son instrument, comme un prolongement fait de bois de sa propre personne.
Le poids de la religion
La religion se fait tout aussi présente que la musique dans Le Prodige inconnu, mais sa place interpelle. Si le film propose une immersion dans les rites judaïques, souvent perçus à travers le regard logiquement profane de Martin, avec une certaine cohérence, il place une mission harassante sur les épaules du peuple juif. Les rabbins ne sont pas que les garants de la parole de Dieu, ils exercent aussi un devoir de mémoire. À eux la charge d’entretenir le souvenir des morts, notamment dans une scène bouleversante où l’un d’eux entonne un chant énumérant les morts de Treblinka. La religion se vit autant au passé qu’au présent.
Pourtant, le jeune Davidl est en conflit permanent avec le divin: il renonce à sa religion, qui se révèle être un fardeau impossible à assumer pour lui. Cette déconnection avec les rites ancestraux s’affirme comme un acte de colère dans la mise en scène: il découpe son écharpe rituelle, il invective directement Dieu avec colère, sous les yeux effarés de Martin. La foi n’est plus une bénédiction, elle est un devoir auquel le jeune garçon ne souscrit plus. Son parcours se nuance toutefois, et son retour vers la religion se pose de manière naturelle. Ce que Davidl pensait devoir endurer seul se partage tout d’un coup: d’autres hommes et femmes vivent sa douleur.
À la recherche du temps
Pour nous faire digérer le poids d’un récit rempli d’émotions, François Girard fait le choix du ludisme. Certes, la structure en flashback est un procédé utilisé à de multiples reprises, jusqu’à l’excès, mais le cinéaste semble maîtriser la logique d’enquête à travers le temps. Le Prodige inconnu n’est pas qu’un mélodrame, il épouse aussi par moment les codes du film policier, pour lever le voile sur la vie de Davidl au gré des indices glanés. Il existe une flamme de l’espoir dans le film, parfois particulièrement maigrelette, alors que Martin s’accroche à des chimères, mais le réalisateur fait un pacte avec son public: tout sera révélé, en temps voulu.
Plus fort que ce simple échange, Le Prodige inconnu utilise la séparation entre Martin et Davidl pour tisser un nouvel axe de lecture. Qu’est ce qu’une famille ? L’interrogation est pleine pour Davidl, privé des siens par la guerre, et en marge de la famille anglaise qui l’accueille. Il semblerait que pour François Girard, la réponse à cette question soit un mélange de patrimoine et d’expérience communs. Oui, Martin est un frère pour le jeune prodige, grâce à leur parcours mutuel, mais dans le même temps, le besoin de renouer avec les racines qui sont les siennes habitent perpétuellement Davidl. Au final, le film est le témoin d’une fracture, d’une plaie béante que rien ne saurait combler.
Le Prodige inconnu est distribué par Condor, et disponible en VOD et en format physique.
Entre extase musicale et devoir de mémoire, Le Prodige inconnu est ponctué d’une certaine maîtrise qui enjolive ce récit poignant.