Le Gang Anderson
Le Gang Anderson affiche

(The Anderson Tapes)

1971

Réalisé par: Sidney Lumet

Avec: Sean Connery, Christopher Walken, Dyan Cannon

Film vu par nos propres moyens

En 1971, une nouvelle décennie de cinéma s’ouvre pour Sidney Lumet. Le réalisateur ne le sait pas encore, mais certaines des plus belles pages de sa filmographie s’écriront dans cette période charnière de sa carrière où son style s’affirme, s’affine et s’adapte aux aspirations de son temps. Si le metteur en scène à déjà proposé l’année précédente deux longs métrages, l’oubliable Last of the Mobile Hot Shots et l’exceptionnel King: de Montgomery à Memphis au statut toutefois à part, c’est bel et bien Le Gang Anderson qui semble faire office de note d’intention pour ce qui sera la suite de son périple filmique. Dans la forme comme dans le fond, Sidney Lumet s’aventure vers de nouveaux horizons et casse certains des codes qu’il avait établis.

Comme il l’affirme dans son livre Faire un film, tout commence par le scénario pour le réalisateur: “Le thème avant le style”. À l’occasion du Gang Anderson, le cinéaste s’appuie sur un script de Frank Pierson, à la carrière alors maigre mais déjà remarqué pour son travail sur Luke la main froide. Une rencontre qui se révèle loin d’être anodine pour les deux hommes: si Le Gang Anderson est d’apparence un film de braquage assez léger, une forme de fronde sociale l’habite tout de même dans son second niveau de lecture, une flamme de révolte qui a certainement su parler à Sidney Lumet. Mais surtout, leur travail commun sur ce long métrage préfigure de ce qui sera leur deuxième et dernière collaboration: Un après-midi de chien. À plus d’un titre, les deux films partagent un lien de parenté indéniable, annonciateur du futur, et les similarités sont nombreuses.

Le Gang Anderson illu 1

Toutefois, le metteur en scène ne renie pas totalement ses racines et le chemin parcouru dans les années 60, loin de là. Le Gang Anderson marque aussi la réunion avec le génial musicien Quincy Jones, proche de Sidney Lumet à qui il a offert de fabuleuses partitions tout au long de sa carrière, mais surtout les retrouvailles avec Sean Connery pour le deuxième de leur 5 films en commun. La famille Lumet se consolide, mais s’agrandit également. Un homme de l’ombre fait ses premières armes sur Le Gang Anderson: Philip Rosenberg, chargé d’une partie de la direction artistique. Rosenberg collaborera pas moins de 11 fois avec le réalisateur, gagnant à chaque fois en influence, et insufflant une esthétique nouvelle au cinéma de Sidney Lumet.

Effectivement, fini les heures du théâtre filmé, Le Gang Anderson est un long métrage urbain, profondément ancré dans le New York qu’il dépeint. Si aujourd’hui on juge la ville indissociable du cinéma de Sidney Lumet, c’est ici la première fois que le réalisateur l’épouse aussi ouvertement. Les plans larges sur les artères gargantuesque de la métropole sautent aux yeux et le jeu de couleurs permanent qui les accompagne séduit. On l’a déjà dit, mais Le Rendez-vous aura véritablement été le film de la révélation pour le cinéaste qui maîtrise enfin les teintes de ses images et qui peut dorénavant magnifier la ville où il a grandi. Une esthétique proche de celle qu’il adoptera pour Un après-midi de chien, justement. Le metteur en scène ne perd cependant rien de sa superbe et du langage filmique qui est le sien: science du tempo acerbe dans le montage délicieusement saccadé, utilisation de la hauteur des personnages pour restituer le rapport de force, et zoom rapide sur les protagonistes pour les filmer en très gros plan, à la façon de 12 hommes en colèreLe Gang Anderson est un pur produit de son créateur 

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Ironiquement, si Sidney Lumet avait laissé Sean Connery en cellule dans La colline des hommes perdus, son personnage sort ici de prison dès l’entame du récit. Après une peine de 10 ans pour vol, Duke Anderson retrouve la liberté mais n’a qu’une obsession: réaliser un nouveau casse. Il jette son dévolu sur le riche immeuble de sa petite amie Ingrid (Dyan Cannon) dont il entend bien vider chaque appartement. Pour y parvenir, Duke fait appel aux financements de la mafia qui a une dette d’honneur envers lui, mais fédère surtout autour de lui une équipe haute en couleurs. Le héros du Gang Anderson ignore cependant que différentes branches de la police sont à l’écoute des moindres faits et gestes de ses complices.

Le rapport aux écrans, plus spécialement aux vidéos de surveillance de la police, et aux bandes sonores des tables d’écoute qui donnent son nom originel au film est permanent. Le long métrage s’ouvre d’ailleurs explicitement sur des images de Duke vu à travers un poste de télévision, confessant l’excitation qu’il a à accomplir ses forfaits. Le Gang Anderson est un film paranoïaque: impossible de se soustraire à l’œil de ce Big Brother omnipotent, qui vient épier le héros jusque dans ses ébats avec Ingrid. La vie privée n’existe plus pour les parias, elle est partagée par une armée de fonctionnaires prêts à mordre.

En imposant ces conditions dès l’entame, Sidney Lumet prive son héros de rédemption. Duke est un roublard et ses projets ne font aucun doute, mais le simple fait qu’il soit sur écoute avant même le moindre nouveau larcin crée une forme d’adhésion du public pour le personnage, une graine de révolte est semée. On devrait le détester, et pourtant on se surprend à prendre son parti, aidé par une écriture qui le rend par moment sympathique, voire martyr. 

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Mais davantage que ce protagoniste, c’est la vision de la hiérarchie policière qui interpelle. L’administration est glaçante: la plupart des mouchards posés le sont sans autorisation, et par une multitude de services qui ne communiquent jamais entre eux, alors que le dialogue aurait pu prévenir le délit. La brigade des stupéfiants, de la lutte anti-mafia, ou de l’immigration n’ont cure du braquage à venir. On retrouve ici des thèmes lumétiens forts, appuyés par quelques séquences marquantes, comme une audience pour espérer un cadre légal aux écoutes, qui se passe dans l’anonymat, au milieu d’un tribunal (Lumet, vous avez dit Lumet ?) complètement désert: tout le monde s’en désintéresse. Le cynisme ultime dont fait preuve le film dans sa conclusion vis à vis des enregistrements est ouvertement critique envers la police et rappelle fortement la fin d’ Un après-midi de chien dans son fatalisme, là encore.


Un parallèle qui s’étend également à l’équipe de cambrioleurs. Si Un après-midi de chien mettra en scène un exclu de la société, Le Gang Anderson en réunit une foule. L’un est un homme à la peau noire, l’autre un homosexuel, et un tout jeune Christopher Walken campe un ancien accro à la drogue. Le Gang Anderson rassemble les marginaux, ceux que la société rejette, et les unit par une logique proche de liens familiaux: est-ce un hasard si un personnage est surnommé Kid et un autre Pop ? Ou si une grand-mère esseulée de l’immeuble se félicite du braquage ? Assurément pas. L’union de ceux qu’on ignore est le dernier refuge face à l’oppression mais aussi contre la trahison, synthétisée par la mafia qui entend utiliser  Duke pour liquider un de leurs hommes. Seuls ceux qui souffrent de la même peine peuvent comprendre Duke, cette société parallèle des invisibles. Symboliquement, le camion de déménagement qui sert de fourgon au braquage et les uniformes des malfrats sont frappés du nom Mayflower, identique à l’un des plus célèbres bateaux ayant emporté les pèlerins de l’Angleterre vers le nouveau monde. Le Gang Anderson photographie des États-Unis que la plupart des gens choisissent d’ignorer, sans fausses promesses.

Le Gang Anderson n’est pas qu’un divertissement léger, il oscille entre la comédie et le drame social ancré dans son pays et ses démons. Sidney Lumet y perfectionne son regard, et franchit un nouveau cap.

Le Gang Anderson est édité par Sidonis Calysta dans une version remasterisée, avec en bonus une présentation de Patrick brion, François Guérif et Bertrand Tavernier

Nicolas Marquis

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