2021
Réalise par : Ridley Scott
Scénario : Ben Affleck, Matt Damon et Nicole Holofcener
Avec : Matt Damon, Adam Driver, Jodie Comer et Ben Affleck
Vu par nos propres moyens
Ridley Scott, un nom qui ne fait plus rêver les spectateurs depuis un moment. Si on lui doit de grands films cultes comme Alien et Blade Runner, depuis 2012, année de sortie de Prometheus, un fossé semble être creusé entre le réalisateur britannique et son public. Malgré un petit retour en grâce avec le sympathique Seul sur Mars, l’histoire d’amour entre Scott et le public est assez compliquée, surtout lorsqu’il accuse le jeune spectateur de préférer son écran de téléphone à celui du cinéma.
En 2021, ce n’est pas un film de Ridley Scott que nous avons pu découvrir mais deux. Encore une fois 2 rapports différents entre la salle et les œuvres, le public ayant préféré le glamour et très classique House of Gucci à Le Dernier Duel, un drame historique plus sombre.
L’annonce de Le Dernier Duel avait de quoi faire dresser les cheveux sur la tête, scénario de Matt Damon et Ben Affleck, adapté d’un roman écrit par un historien, Eric Jager. Rien de très glamour si ce n’est son casting avec deux acteurs prometteurs, Adam Driver qui a su s’imposer grâce à ses prestations puissantes et Jodie Comer, impressionnante de complexité dans la série Killing Eve. Le tournage fut un film en lui-même, pris en sandwich entre les histoires de rachat de la Fox par Disney et bien sûr le Covid qui fit interrompre le tournage. Pourtant il serait dommage de se priver de la découverte de ce dernier duel: c’est un film riche qui utilise habilement le genre historique pour porter son message.
Une Question de point de vue
Avant de nous lancer un peu plus en profondeur dans le film, il est important de présenter l’intrigue. 1356, Jean de Carrouges (Matt Damon) et Jacques le Gris (Adam Driver) s’affrontent en duel. Carrouges accuse Le Gris d’avoir violé son épouse. A la suite d’un procès qui ne lui donne pas satisfaction, l’accusateur réclame un arbitrage par combat pour être jugé par Dieu, seul instance à pouvoir rendre son honneur à sa famille, selon lui.
Au travers de cette histoire, Le metteur en scène s’interroge sur différents grands sujets dont le premier est la notion de vérité.
Qu’est-ce que la vérité ? Qui la détient ?
Pour essayer de répondre à cette question, le film se découpe en trois actes. Le premier du point de vue de l’accusateur, le deuxième de celui de l’accusé et enfin un dernier chapitre de la position de la victime (écrit principalement par une troisième scénariste, Nicole Holofcener).
Ce découpage nous permet de voir qu’au final la vérité ne serait pas universelle mais une question de regard et de ressenti. Chaque personnage pense avoir le meilleur rôle et n’être que la victime des autres. Le réalisateur pousse alors le public à se demander ce qui est vrai ou faux. On se retrouve dans une position de détective cherchant à regrouper les faits et leurs donner ainsi une signification.
Ce procédé sur le papier peut paraître intéressant mais au final, la mise en scène de Ridley Scott, très théâtrale, voire statique, enlève beaucoup de rythme et perturbe l’implication du public, à force de revoir certaines scènes sans gros changements autres que la prestation des acteurs, on s’ennuie parfois un peu. Il en va de même au niveau de l’écriture qui reste parfois en pilote automatique, rendant les dialogues monotones et ridicules.
Il aurait été plus intéressant de placer le procès au centre de l’intrigue et de montrer à partir de là, lors des témoignages, ce décalage de vision. Cela aurait ajouté un peu plus de tension au récit ainsi qu’au destin de Marguerite de Thibouville, la victime. De plus, les prestations de Ben Affleck et Matt Damon n’aident pas à maintenir une bonne immersion, ils sont bien souvent dans le surjeu, au point d’en être ridicule. Heureusement, nous pouvons compter sur Jodie Comer et Adam Driver, impeccables dans deux rôles très difficiles à interpréter et qui arrivent à apporter de la subtilité et de la nuance à leurs interprétations.
Derrière le masque du héros.
L’autre point à souligner, c’est la façon dont Ridley Scott parle du héros au sens général du terme pour nous prouver qu’il faut toujours se méfier de ces figures soit disant parfaites. Il se cite pour cela. Au début du film, le premier plan dans lequel nous découvrons Matt Damon, il est dans une forêt en compagnie de ses hommes, prêt au combat, mais il doit faire face à l’avidité et la précipitation de Le Gris. Nous faisons immédiatement le lien avec l’introduction de Maximus dans Gladiator. De Carrouges est montré en leader aimé par ses troupes, sage mais trahi par le pouvoir qu’il servait. On retrouve même des plans comme le fameux touché de blé ou encore l’opposition entre ralenti/ accéléré des scènes d’action. De Carrouges se pose comme l’archétype du général juste et fidèle.
Ce portrait va être totalement différent dans les yeux de Le Gris. Il nous le montre comme jaloux, colérique et bête. Pour terminer, l’image n’est pas plus brillante du côté de sa femme qui le voit elle aussi violent, abusif et ignorant. Le Dernier Duel, parvient ainsi à nous parler de ces portraits célèbres aux visages et manières angéliques, qui ont fait apparaître leurs vraies natures plus sombres après avoir été accusés.
Jacques Le Gris est un autre archétype tout aussi faux. Il est le chevalier orphelin qui a dû se construire par lui-même. On retrouve ici le personnage de Kingdom of heaven, qui, du rang de forgeron bâtard, finira chevalier durant la croisade. Le Gris se voit comme une victime de la jalousie des nobles qui ne supportent pas son intelligence et surtout son amitié avec Pierre II d’Alençon (Ben Affleck). Il pense vivre une belle histoire d’amour tragique avec Marguerite, une femme mariée . Dans les yeux des autres personnages, ce n’est toutefois pas une pauvre victime, mais une amante tiraillée entre devoir et amour. De Carrouges nous le présente comme quelqu’un de perfide et de manipulateur, alors que pour Marguerite, c’est un harceleur qui la met mal à l’aise et qui fond sur elle comme un animal. Comme vous le voyez, la figure du noble chevalier n’est également pas épargnée, il représente celui qui utilise son prestige et son pouvoir au détriment des autres. Finalement c’est une écriture et une mise en scène plutôt pertinente qui permet à son histoire de s’inscrire dans nos problématiques actuelles: Ces figures de pouvoir et populaires qui se sont révélés être les pires des monstres. Tout ceci va nous conduire au point suivant, le traitement de la notion de justice.
Objection !
Le Dernier Duel permet de nous poser une nouvelle question : Qu’est-ce que la justice ? Est-elle impartiale et juste?
La justice a différentes incarnations. Tout d’abord au travers de Pierre II d’Alençon, montré par tous les points de vue comme quelqu’un d’extrêmement bête et corrompu. On peut facilement le manipuler, tout ce qui l’intéresse c’est d’être aimé par les personnes ayant plus de pouvoir ainsi que par ceux qui peuvent renforcer le sien. La justice ne semble pas exister au sein du film: même le roi est encore un enfant est incapable de rendre une décision en se basant sur les faits. Les seules lois semblent être celles de l’argent , du pouvoir et de la popularité. Finalement, pour Ridley Scott, la vraie justice vient-elle du public? Nous sommes l’entité extérieure non soumise à une société corrompue qui ne se base que sur les preuves. C’est pour ça que la mise en scène très statique et l’envie du réalisateur de s’attarder sur les visages de ses protagonistes sont importantes. Il nous donne toutes les informations pour comprendre le drame qui se joue. Le cinéaste et ses scénaristes en profitent pour également nous parler d’une dernière forme de jugement : le jugement public. Tout autour de nos personnages, nous entendrons la foule les critiquer, les insulter, les rabaisser. Scott les fera paraître comme blafards, il déforme leurs traits en utilisant la lumière et la photo pour en relever toute la méchanceté. Par exemple, Marguerite à une amie, qui semble douce et à l’écoute de ses problèmes. Quelques scènes après on la retrouve froide et hautaine, ignorant son amie victime et faisant courir les pires ragots sur elle. Une fois de plus nous ne pouvons que voir au travers de ce message, une critique de notre société prompte à rendre une justice qui l’arrange ou bien encore qui parle en ignorant la situation tout en refusant d’écouter la parole des victimes.
Être une femme
Le point le plus important pour moi et le plus fort est celui de la victime, et plus généralement de la place de la femme. Encore une fois le film utilise habilement l’Histoire pour nous parler du présent.
Marguerite est un personnage fort qui essaye de s’affirmer dans un monde d’hommes violents et ignorants. C’est une excellente idée d’avoir proposer à une femme d’écrire cette partie du récit. Nicole Holofcener s’oppose et dialogue avec Matt Damon et Ben Affleck. Le but final étant de faire prendre conscience aux spectateurs que ce n’est plus possible d’accepter ce type de comportement et qu’il est temps de prendre en considération les émotions et les paroles des victimes. Ce qui en ressort c’est que du point de vue des hommes et de la société, la femme a perdu son humanité, elle n’est réduite qu’a deux fonctions: donner du plaisir et des enfants à son époux, et rien de plus. Marguerite est vue comme une femme faible, une mauvaise épouse incapable de remplir son rôle et qui devrait avoir honte d’avoir tromper son mari. De Carrouges se voit comme un mari aimant à l’écoute de sa femme, la protégeant. De son côté, le Gris pense avoir répondu à l’appel de Marguerite, voulant échapper à De Carrouges, ce mari violent. À aucun moment, un personnage ne semble se soucier de notre héroïne, que ce soit sa santé, ses émotions et surtout le plus important : son consentement. Elle se retrouve constamment agressée par les hommes, que ce soit aussi bien psychologiquement que physiquement. C’est une femme intelligente, cultivée et forte qui va défier la société pour elle, pour guérir et pour obtenir justice. Cependant nous verrons dans cet acte qu’il y a encore beaucoup de travail à faire. Marguerite se retrouve mise de côté au profit de son mari qui va instrumentaliser son traumatisme pour réaliser sa propre vengeance. L’écriture de cette partie est extrêmement juste et forte émotionnellement. On en ressort en colère. Scott fait de Marguerite une guerrière en la filmant, s’habillant comme un soldat qui enfile son armure. Elle part au combat, ce ne sera pas facile, on aura peur pour elle mais au final il en fait un symbole d’inspiration, se tenant au-dessus des bourreaux comme pour dire qu’elle ne se laissera pas vaincre. Ce dernier duel, c’est le sien.
En conclusion :
Le Dernier Duel est une œuvre bien plus riche et profonde que House of Gucci. Le drame historique est parfaitement utilisé pour proposer une analyse de notre société ainsi que des violences faites aux femmes. Le film propose un message important, celui de la prise de conscience qui doit conduire à un changement nécessaire. Il est cependant dommage que des longueurs causées par une structure d’écriture en trois actes répétitive, ainsi qu’une mise en scène qui manque parfois de vivacité et ’un Scott qui préfère rester dans le passé plutôt que de faire évoluer sa mise en scène pour la mettre au service de l’histoire.
le film est distribué par 20th Century Studios