L’Autoroute de l’Enfer
L'autoroute de l'enfer affiche

(Highway to Hell)

1991

Réalisé par: Ate de Jong

Avec: Chad Lowe, Kristy Swanson, Patrick Bergin

Film fourni par Sandrine Hivert pour Rimini Éditions

Loin d’être l’assurance de recettes faciles qu’est parfois devenu le genre aujourd’hui, sortir un film d’horreur en 1991 n’a rien d’une entreprise aisée. Le cinéma d’épouvante souffre encore d’une mauvaise réputation générale, malgré les coups de butoir artistiques de plus en plus prononcés de maîtres du style régnants sur le marché. En terme d’exploitation, L’Autoroute de l’Enfer de Ate de Jong fait même office de cas d’école: d’abord confronté à un échec notable en salles, c’est à la faveur de sa sortie vidéo que le long métrage a pu être redécouvert et acquérir légitimement ses lettres de noblesse. La peur est pourtant le laboratoire des plus fabuleux créateurs du milieu, des départements techniques à l’écriture. 

Si la folie visuelle de Ate de Jong fonctionne à merveille dans son oeuvre, c’est peut être d’ailleurs du côté du script qu’il faut chercher le nom le plus notable parmi l’équipe du film: Brian Helgeland est à l’époque un tout jeune scénariste, mais il offrira par la suite son talent pour l’écriture à L.A Confidential, Mystic River ou encore Man on Fire. L’Autoroute de l’Enfer n’est que son troisième travail pour le cinéma et l’artiste est encore dans la première phase de sa carrière, celle de l’épouvante, lui qui sort à peine du Cauchemar de Freddy dont il emprunte volontiers ici le ton mélangeant gore et humour. Rimini Éditions nous permet de redécouvrir avec plaisir cette nouvelle proposition angoissante, dans une version Blu–ray magnifiquement restaurée.

L’Autoroute de l’Enfer commence comme un film d’horreur tout à fait classique: Charlie (Chad Lowe) et Rachel (Kristy Swanson) sont deux jeunes amoureux qui fuient leur village natal pour se marier, contre l’approbation de leurs parents, à Las Vegas. En empruntant une route délabrée, les deux héros sont attaqués par un épouvantable officier de police des enfers aux propriétés surnaturelles, pourvu d’un visage atrocement déformé, qui kidnappe Rachel. Pour délivrer sa dulcinée, Charlie se lance à la poursuite du serviteur de Satan, sur le territoire macabre et désertique de l’après-vie des âmes damnées. 

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Dans plus d’un registre, L’Autoroute de l’Enfer se joue des apparences et des codes qui voudraient le contraindre. Le long métrage n’a rien d’un film d’horreur classique et s’en amuse malicieusement. Alors que l’introduction, de nuit, laisse présager un production classique, cette séquence d’ouverture proclame en réalité tout ce que ne sera pas L’Autoroute de l’Enfer. Loin des slashers phares de l’époque et leur imagerie crépusculaire, Ate de Jong tente d’inviter la peur en plein jour, sous une lumière aveuglante. Sa grammaire évolue en conséquence: impossible de s’appuyer trop ostensiblement sur des Jumpscare, c’est donc dans le gore vicié, la putréfaction, proche de La colline à des yeux, que s’épanouit le long métrage. L’esthétique très marquée de L’Autoroute de l’Enfer, propre à la fin des années 1980 et au début des années 1990, confère une aura démoniaque à l’ensemble, comme un clip de MTV qui serait possédé. 

Dès lors, la figure même de son Boogeyman interroge. Alors que nous baignons dans un film d’horreur loin d’être conventionnel, proposé un agent de police en antagoniste, aussi démoniaque soit-il, a tout de la bravade malicieuse. Là encore, L’Autoroute de l’Enfer semble s’amuser des règles en place. Un autre long métrage du même registre imposerait la menace comme une punition envers des adolescents de petite vertu. Ici Ate de Jong et peut être plus encore Brian Helgeland se font mutins, et ne renieront jamais à Charlie ou Rachel leur chasteté. On reste donc face à une figure d’autorité, certes ici magique, qui arrête sans raison légale ou morale, injustement. Le monde adulte est une menace, jamais un idéal pour le duo de héros. L’antagoniste porte aussi en lui le poids de la fatalité, à l’image d’un Terminator dont L’Autoroute de l’Enfer s’inspire sans se cacher. Il est impossible de se soustraire à cette émanation d’un pouvoir défaillant, ses esclandres sont prévisibles mais incontournables. Cette faculté à varier de style cinématographique reste la grande force du film.

Parmi ce panel de genre dans lequel pioche L’Autoroute de l’Enfer, l’humour a étrangement une place essentiel. Le long métrage est aussi effrayant que bizarrement drôle, dans un esprit potache non sans rappeler Evil Dead. On est jamais très loin, principalement dans le dialogue, de la parodie amoureuse mais acide du cinéma d’horreur. Pour Ate de Jong et Brian Helgeland l’utilisation du ressort comique est indispensable à l’adhésion du spectateur. On pardonnera les limites du budget alloué à l’œuvre, du moment que la bonne répartie soit lancée au moment propice à nous faire sourire, si possible avec emphase. Tantôt subtil dans son jeu de référence, tantôt cartoonesque dans certains gags, L’Autoroute de l’Enfer est bien le fruit de l’imaginaire d’un des pères du Cauchemar de Freddy.

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Le film ne se dédouane pas de fond, et tend même à offrir une image de la révolte adolescente plutôt compatissante. Ate de Jong n’a rien d’un moralisateur, il aime profondément ses personnages et souffre des épreuves qu’ils traversent. Comme pour signifier le camp qui est le sien, le cinéaste offre des figures paternelles perpétuellement vacillantes. D’abord les parents de Charlie et Rachel, complètement absents du récit mais dont on sait la désapprobation, ensuite le flic de l’enfer, dont le charisme est synonyme de danger, et enfin Satan, le manipulateur tyrannique par excellence. Cette thématique de la parentalité est sans cesse remise sur la table, à la faveur d’un fils spirituel du prince des ténèbres qui n’est pas reconnu pour ce qu’il est, ou par l’intermédiaire d’un jeune enfant que Charlie prend sous son aile.

Pour asseoir ce thème central de l’œuvre, Brian Helgeland propose dans son scénario un jeu malicieux d’emprunts à de grandes légendes connues du spectateur. L’Autoroute de l’Enfer n’en aura jamais l’ampleur, n’empêche que son schéma narratif est exactement le même que celui de la légende d’Orphée parti aux enfers secourir sa belle. Peut être est ce pour lui confère des airs de contes de fées morbide, toujours est il que le long métrage cite explicitement Le Magicien d’Oz. Au plus évident, et là où le film prend toute sa dimension délicieusement guignolesque, L’Enfer de Dante est une source inépuisable de rire en tout genre, du plus construit au plus gras.

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Ce trait de mise en scène et d’écriture colle à la nature profonde de l’œuvre et à son esprit rebelle, mais ne lui interdit certainement pas de trouver des rebonds d’expressionisme marqués. Dans une scène où Charlie fait face au Cerbère, les morts défilent, vêtus de draps blancs, tel des âmes prisonnières d’une procession infinie. De manière plus acidulée, alors que le héros sillonne l’autoroute de l’Enfer, le trafic se fait de plus en plus dense, et les voitures s’entrechoquent à l’abord d’un échangeur qui les aiguille vers un cercle défini de l’Enfer. Il existe une course de fond à laquelle nous nous adonnons tous, et qui condamne notre âme, Charlie et Rachel sont deux électrons libres qui remontent le courant.

Film méconnu du cinéma d’horreur de son époque, L’Autoroute de l’Enfer est une belle découverte, entre effroi et rigolade sincère, dans un enfer pavé de bonnes intentions.

L’Autoroute de l’Enfer ressort chez Rimini Éditions, dans un magnifique coffret contenant:
– Le film en version restaurée
– Un livret de Marc Toullec
– Une présentation de Gilles Gressard

Nicolas Marquis

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