Là où chantent les écrevisses 

(Where the crawdads sing)

2022

Réalisé par: Olivia Newman

Avec : Daisy Edgar-Owen, Taylor John Smith, Harris Dickinson

Film vu par nos propres moyens

Si vous suivez l’actrice Reese Witherspoon sur les réseaux sociaux  vous avez sûrement  déjà vu ses conseils de lectures. L’une des ses recommandations récentes était Là où chantent les écrevisses de Delia Owen. 

Ce roman nous propose de suivre l’histoire de Kya, une jeune femme vivant seule au cœur d’un marais de Caroline du Nord, en 1969. Traitée en paria par le reste de la communauté, « La fille des marais » est accusée du meurtre d’un jeune homme issu d’une famille riche. Ce récit touche l’actrice au point qu’elle décide de financer une adaptation du best seller. Elle est appuyée dans sa démarche par une autre fan du roman, Taylor Swift, qui écrit et compose une chanson pour le film.  Pour mettre en image cette adaptation, Olivia Newman, une réalisatrice venue de la télévision et Lucy Alibar, une scénariste avec peu d’expérience sont engagées. Le casting est aussi composé de jeunes acteurs plutôt inconnus du grand public. Un pari risqué qui semble pourtant avoir séduit le public outre atlantique.  

L’outsider

Là où chantent les écrevisses place le spectateur dans le camp des outsiders pour nous brosser un portrait de la société américaine à la fin des années 1960. Kya, l’héroïne, est présentée comme une sorcière. Elle est la fille du marais, sans identité. les gens de Barkley Cove, une petite ville de Caroline du Nord, ne voient en elle qu’une souillon, complémentent folle et malfaisante, vivant au cœur des marécages  dans une maison qui aurait sa place dans un récit d’épouvante. Kya n’est plus que l’héroïne de légendes urbaines, une fiction. On retrouve la même chose dans les personnages de Jumpin et sa femme Mabel. Ils gèrent l’épicerie, sont instruits, mais comme ils sont noirs, ils sont traités comme des idiots et des êtres inférieurs par l’élite blanc de la ville. 

Pourtant lorsque nous examinons de plus près cette société nous découvrons une autre réalité. La ville de Barkley Cove est une ville morte aux couleurs fades. Tout n’est que représentation, le décors en ressort faux et plat. La façon dont la réalisatrice met en scène  ce lieu, avec des caméras souvent statiques, renforce cette impression de factice. Personne n’est naturel, chaque habitant joue un rôle, il ne doit avoir aucun défaut, garder le sourire en permanence et rester à sa place. Les passages en ville sont caractérisés par des couleurs plus atténuées et grises . Les scènes sont très courtes, accompagnées d’un montage plus abrupt. Kya y apparaît tout de suite comme anormale avec ses robes colorées et ses cheveux laissés libres. 

La ville ne veut pas d’elle et chaque intrusion de la jeune femme sera mise en scène comme un moment désagréable, elle est filmée en arrière plan et quand elle se rapproche de la caméra, elle dérange les personnages se trouvant au premier plan qui ferment alors le cadre comme pour l’empêcher d’aller plus loin.

Lors de son procès, Kya le dit : «  ce n’est pas moi qui suis jugée mais la ville ». Elle nous fait comprendre que son accusation n’est que le refus de cette société américaine d’affronter ses erreurs et ses problèmes. Il est plus facile de se débarrasser de la preuve de son mauvais comportement plutôt que de l’affronter et de se remettre en cause.

Le spectateur découvre alors la vérité, la vie de Kya est triste. Une petite fille battue, abandonnée par sa famille sans que personne ne fasse rien pour l’aider. 

Personne, vraiment ? Le film nous montre alors une autre erreur de l’Amérique : la division.  Le pays dépeint par le film est séparé. Les blancs et les riches d’un côté, les pauvres et les noirs de l’autre. Si Barkley Cove est une ville triste, fausse et égoïste, les marais sont lumineux et accueillants. Ses habitants s’entraident. Jumpin et Mabel prennent sous leurs ailes la pauvre Kya devenant une famille de substitution, Ted, son ami de toujours, qui permet à la fille des marais d’acquérir le savoir refusé par la communauté. Cela se ressent également dans la réalisation. Les marais sont lumineux, colorés, il y règne une douce mélodie et surtout notre héroïne rayonne comme si il se dégageait d’elle une force bienveillante.

Carolina l’enchanteresse 

Dans le long métrage il y a un autre personnage qui est tout aussi important que Kya, il s’agit du marais et plus particulièrement de la magie qui s’en dégage. Dans la chanson du film, Taylor Swift le nomme « Carolina », comme l’état dans lequel se situe le film. La compositrice à raison, il s’agit d’une force féminine qui règne dans cet endroit, d’une beauté picturale et pourtant remplie de secret. Une représentation de mère nature comme Grand-mère feuillage dans Pocahontas, qui se prend d’affection pour la pauvre petite Kya et fait d’elle sa représentante ainsi que sa protectrice.

Elle lui offre à manger, une cachette, et surtout du réconfort. Grâce à cette figure, la jeune fille s’épanouit,  prend confiance en elle, apprend et partage avec le monde son amour pour ce lieu à part et à quel point il est important de le préserver. 

On peut y voir encore une référence à la sorcellerie dans le pacte qui lie l’orpheline et la nature. Comme le dit Taylor Swift dans sa chanson, le marais fait partie intégrante de la protagoniste, il est son sang. L’artiste écrit du point de vue de Kya et clairement celle-ci voit “Carolina” comme son amie et la gardienne de ses secrets. Elle sous-entend dans ses paroles qu’un accord existe entre Kya et l’esprit féminin du marais. Un pacte qui rend l’héroïne plus forte et lui confie le rôle de protectrice de ce lieu. Elle empêche des promoteurs de venir saccager les marais, et l’entité la débarrasse de son agresseur. Le film parle ainsi de la puissance de la féminité en reprenant la figure de la sorcière. Si cette sorcière blanche nous apparaît de façon positive au cours du récit raconté par Kya, il existe cependant une autre facette plus sombre.

Une question de point de vue

Kya est accusé de meurtre. Nous découvrons l’histoire au travers de l’héroïne qui se livre à son avocat comme dans la mini série Captive, adaptée du roman de Margaret Atwood. À l’image de cette histoire, le film joue sans cesse avec les apparences, il y a ce qui est dit et ce qui est montré. Tout ceci implante le doute dans l’esprit du  spectateur jusqu’à la dernière seconde. A t-elle tué ce garçon? Qui était-il pour elle ? Un amoureux éconduit ou un danger ? Nous ne donnons pas de réponse, libre à chacun de se faire sa propre conclusion. Il est cependant intéressant d’avoir différentes visions d’une même histoire. Alors que Kya nous parle de sa première histoire d’amour avec Ted comme un vrai conte de fée, le spectateur voit de nombreuses alertes nous faisant douter de la sincérité du jeune homme. Ces indices sont encore plus importants sur la victime Chase.

Alors que l’accusation, ainsi que Kya, nous le présente d’abord comme un jeune homme riche, maladroit et persécuté par sa famille, le spectateur le voit comme un menteur et un pervers narcissique. Il l’isole pour mieux la contrôler et jouer avec sa naïveté, jusqu’à ce que le masque se brise et que Kya voit enfin ce que nous avions perçu depuis le début, sa violence. L’image nous livre toujours un indice, un regard ou un plan sur un objet qui contredit les dialogues. Les trois acteurs principaux, Daisy Edgar Jones, Taylor John Smith et Harris Dickinson, font de l’excellent travail pour jongler avec ces différents points de vue.

Finalement la fille du marais est elle vraiment naïve ? Encore une fois ses mots sont innocents et elle se présente comme une victime, pourtant la mise en scène souligne souvent son intelligence, ses talents de pisteuse et sa capacité à se cacher . N’était elle pas aussi manipulatrice ? Ou bien comme Kya le dit, elle est impuissante car personne ne croit son histoire .

Son propos est plutôt pertinent quand on voit comment la justice fait son travail. Sous couvert de la recherche de la vérité, la police, le procureur et les jurés en profitent pour se débarrasser de la fille du marais. Elle dérange, c’est une femme libre et indépendante mais aussi un témoin du passé qui empêche la ville d’entrer dans la modernité. L’accusée est  jugée sur son origine sociale plutôt que sur les faits ce qui n’est pas sans rappeler 12 hommes en colère.

Là où chantent les écrevisses est une bonne surprise, on retrouve plutôt bien l’atmosphère du roman. L’histoire de Kya est à la fois touchante et mystérieuse jusqu’au bout. Chaque spectateur en ressortira avec un avis différent sur les faits dépeints dans le long métrage mais ce n’est pas le plus important. L’histoire de la fille des marais permet de s’interroger sur son rapport aux autres, ses forces et ses faiblesses. De quoi sommes-nous capables pour survivre ?  Pour finir la mise en beauté des marais par la mise en scène et la photo apporte de la poésie et enchante.

le film est en ce moment à l’affiche.

Laisser un commentaire