Chacun cherche son chat
Chacun cherche son chat affiche

1996

Réalisé par : Cédric Klapisch

Avec : Garance Clavel, Zinedine Soualem, Renée Le Calm

Film fourni par SND / M6 Vidéo

Au cœur des années 1990, l’émergence de Cédric Klapisch souffle un vent de fraîcheur nouveau sur le cinéma français. Alors que son premier long métrage Riens du tout, sorti en 1992, ne lui avait pas permis de s’imposer en valeur sûre, son deuxième film Le péril jeune lui offre un tremplin vers le succès trois ans plus tard. À travers une créativité follement débridée, le réalisateur capte les tourments d’une génération en perte de repères. L’année suivante marque un tournant pour Cédric Klapisch grâce au triomphe de Un air de famille qui installe durablement son nom dans le paysage culturel. Néanmoins, quelques mois à peine auparavant, le metteur en scène offre au public un projet plus intime, fruit de concours de circonstances et de rencontres fortuites : Chacun cherche son chat. D’une simple anecdote banale rapportée par l’une de ses amies, Cédric Klapisch tire un scénario aux multiples ramifications, photographie d’un Paris populaire en pleine mutation et de ses habitants. Initialement pensé pour être un court métrage, Chacun cherche son chat se révèle être un terreau fertile pour l’imagination de son concepteur, malgré son intrigue extrêmement simple : bientôt dépassé par la fougue de son écriture, Cédric Klapisch se tourne finalement vers la forme longue. 

Pourtant, au moment d’entamer le tournage, rien n’est figé dans le marbre. Le script ne décrit généralement que les situations dans leurs grandes lignes, et les dialogues sont le plus souvent le fruit de l’improvisation. Le metteur en scène accorde une grande confiance à ses acteurs soigneusement choisis, qu’ils soient professionnels comme Zinedine Soualem, ou amateurs comme Renée Le Calm. Leur spontanéité est au centre du projet, et la paternité de nombreuses répliques cultes leur revient. De la même façon, peu de story-boards encadrent les prises de vue. Cédric Klapisch est en constante recherche d’un regard neuf à poser sur le quartier de La Bastille, et sa caméra capte certains instantanés sur le vif. Chacun cherche son chat se construit telle une pulsion, une envie irrépressible de cinéma, comme en atteste presque trente ans plus tard l’actrice principale Garance Clavel dans la réédition du film, disponible chez SND.

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Elle y incarne Chloé, jeune parisienne de la rue des Taillandiers, qui confie son chat à une vieille dame avant de brèves vacances. À son retour, l’animal a disparu, pour son plus grand malheur et celui de l’attachante grand-mère jouée par Renée Le Calm. La recherche de Gris-gris devient alors un prétexte pour Chacun cherche son chat, propice à l’exploration d’un quartier de la capitale en pleine transformation. Plus que la traque du félin, c’est le périple affectif de Chloé qui s’étale, célibataire en recherche d’amour et de sentiments vrais.

À travers le parcours de Chloé, Cédric Klapisch offre une vision de l’identité féminine des années 1990 et de ses tourments passionnels. La quête du chat devient rapidement annexe, un simple prétexte à l’exploration de la vie amoureuse de son héroïne, au centre de tous les dilemmes. À une époque où les tabous sont de moins en moins oppressants, et où l’homosexualité, par exemple, se vit plus librement, Chloé est en perdition, à la recherche de son identité propre. La poursuite de son animal symbolise avant tout la construction intime de son être, avide de passion sincère. À un moment charnière de son existence, l’héroïne navigue entre deux eaux : lasse des papillonnages sans lendemain, elle ne comprend pas encore totalement ce qu’implique une romance sur le long terme. Ainsi, une scène de séduction éphémère dans un bar, que Chacun cherche son chat baigne d’une lumière rouge passion, vire à l’échec cuisant et même au danger, tandis que la vision de l’urne funéraire du compagnon d’une vieille dame glace le sang de Chloé. La protagoniste étouffe dans cet entre-deux, et le film la prive de toute respiration, comme au moment de restituer ses vacances, réduites à un plan de coupe d’à peine une seconde.

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Pour accompagner l’errance du cœur, Chacun cherche son chat offre au spectateur un melting pot absolu, dans un quartier pluriculturel. Les arts deviennent des éléments de narration constants, témoins du mélange des genres et des époques qui s’affirment dans cette parenthèse temporelle. Les sonorités de l’électro et de la Jungle émergentes à cette époque tutoient les chants populaires iconiques des titis parisiens. Au moment où Chloé arpente les rues à la recherche de Gris-gris, les multiples tags et les apparitions inopinées d’orchestres de rue, ou de danseurs de salsa, accompagnent ses déambulations, tout comme ils ressurgissent dans les rêveries de l’héroïne, au plus fort de son désarroi sentimental. L’art se révèle même être le trait commun aux quelques aventures que connaît Chloé, précédant toujours l’abandon de son corps à ses partenaires. Avant de succomber aux charmes de Romain Duris, une séquence de batterie sert de préambule à l’acte charnel. De la même façon, alors que Chloé entrevoit enfin une passion plus sincère, la découverte des talents de peintre de son homologue unissent les deux futurs amants avant une timide étreinte.

Si Chacun cherche son chat assume une identité aussi mélangée, c’est aussi parce que Cédric Klapisch pose sa caméra à un instant clé de la métamorphose du quartier de La Bastille. Jusqu’ici populaire, voire ouvrière, cette zone de Paris connaît une profonde transformation au moment même où se tourne le film. Les habitants aux revenus modestes sont progressivement expulsés pour laisser la place à une population plus fortunée, affirmant ainsi un certain embourgeoisement des environs. Au moment où le film se tourne, les vieilles femmes démunies côtoient les nouveaux riches qui investissent les lieux. Cette modification de l’urbanisme du onzième arrondissement parisien accompagne la réflexion de Chacun cherche son chat : les innombrables plan de coupes sur les bulldozers qui détruisent les bâtisses, ou les quelques scènes montrant le départ des personnages devenus incapables d’assumer la hausse des loyers sont étalés en parallèle du morcellement et de la reconstruction de la psyché de Chloé. Pourtant, à l’instar de son héroïne, le film pétille de couleurs, et Cédric Klapisch offre quelques respirations, notamment au moment de filmer la capitale vu des toits. Le cinéaste ne désespère pas de l’évolution du quartier, il se pose simplement en témoin discret, selon la volonté première qu’il confesse au moment de s’atteler au projet.

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Néanmoins, Chacun cherche son chat laisse une place bien plus conséquente aux invisibles qui vivent modestement qu’aux parvenus, sur lesquels le long métrage se révèle presque caustique. À l’évidence, Cédric Klapisch place la vérité du cœur chez ceux qu’on ignore usuellement, qu’ils soient vieilles dames ou jeune garçon un peu lunaire. La quête du chat est l’occasion d’une ouverture aux autres pour Chloé, la prise de conscience d’un monde parallèle où vivent des exclus de la société. À l’extrême solitude de la protagoniste, Chacun cherche son chat confronte un élan de solidarité altruiste de la part des parias, un véritable réseau secret d’entraide qui a pour seule motivation la fraternité. En passant d’un bar huppé à un modeste bistrot, Chloé plonge dans cette face cachée de Paris. Si les assemblées de grands-mères prêtent souvent à rire, le personnage d’Abdel, que joue à la perfection Zinedine Soualem, est un vecteur d’émotion. Homme aussi sincère que simplet, il se jette corps et âme dans la recherche du chat, animé par une certaine attirance pour Chloé, mais avant tout par l’envie d’aider son prochain.

Au contact des plus pauvres, mais au service des plus fortunés qui investissent le quartier, l’héroïne à le statut d’intermédiaire, comme le chaînon manquant entre deux populations opposées. Lors de séquences étalant le travail de Chloé, Chacun cherche son chat ferait presque d’elle un larbin, sujette au désidérata d’une classe supérieure aussi sévère que pleine de vacuité. Il ne fait aucun doute que Cédric Klapisch condamne leur mentalité : si le cinéaste voit la métamorphose des environs de La Bastille comme une fatalité que nul ne peut endiguer, il place la sincérité chez ceux qui désertent les immeubles pour la banlieue, contraints et forcés. L’ultime élan d’espoir, illustré par la course passionnée de Chloé dans la rue des Taillandiers, s’installe après un instant de communion avec un expulsé de ce Paris chamboulé.

Avec beaucoup de cœur et une affection sincère pour les plus démunis, Chacun cherche son chat pose un regard amoureux sur un Paris en pleine mutation, et sur une génération en quête de passion.

Chacun cherche son chat est disponible chez SND / M6 Vidéo, avec en bonus:

  • Un entretien avec Cédric Klapisch, Zinedine Soualem et Garance Clavel
  • Une bande annonce

Nicolas Marquis

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