(Flugt)
2021
Réalisé par: Jonas Poher Rasmussen
Avec: Rashid Aitouganov, Daniel Karimyar, Fardin Mijdzadeh
Film vu par nos propres moyens
“Qu’est-ce qu’un foyer?”. Ce sont sur ces quelques mots que s’ouvre le documentaire Flee de Jonas Poher Rasmussen et c’est cette interrogation qui porte son œuvre durant 1h30. Comment définir ce concept à ceux qui ont fui leur pays, frappés par la guerre, ceux qui ont dû vivre clandestinement dans des abris où la précarité règne, ceux qui aujourd’hui ont trouvé refuge dans des contrées où ils ne se sentent pas toujours acceptés? Le déracinement d’un enfant fait des ravages et la construction personnelle devient alors un périple houleux, souvent solitaire, d’autant plus lorsque la société n’accepte pas les différences.
C’est à travers le parcours d’Amin que la réponse se dessine. Un jeune garçon afghan contraint de quitter ses terres avec sa famille lorsque le pouvoir est renversé, au cours des années 80, laissant derrière lui le cadavre de son père abattu par les fanatiques. D’exodes clandestines en instantanés d’un quotidien éprouvant, d’abord en Russie puis au Danemark, ce héros bien réel nous offre son témoignage au moment où sa vie personnelle s’ouvre sur un nouveau chapitre, alors qu’il s’apprête à emménager avec son concubin.
Réflexion sur l’image
Pour son documentaire, Jonas Poher Rasmussen a dû faire face à une contrainte toute particulière, qu’il contourne avec brio: pour préserver l’anonymat d’Amin (un nom d’emprunt), aucune image de son intervenant ne sera montrée. Le choix de l’animation apparaît dès lors comme un élan artistique que le réalisateur va utiliser pour intensifier la tension dramatique. Dans les souvenirs les plus concrets d’Amin, et dans le présent du témoignage, une représentation proche de la réalité se dévoile, tandis que pour les séquences plus diffuses, ou les scènes plus allégoriques, des esquisses proches du rendu d’un fusain nous emporte dans ce terrifiant voyage.
Pourtant, Jonas Poher Rasmussen nous rappelle toujours à la réalité: Amin a parfois besoin de s’interrompre et le témoignage cesse le temps d’une respiration. On émule aussi parfois les tâtonnements d’une caméra qu’on mettrait en marche, ou bien on représente directement l’appareil de capture vidéo. À plus forte raison, quelques rares images d’archives s’invitent parfois dans le déroulé, mais toujours de manière discrète et fugace. Flee est autant une œuvre animée qu’un documentaire bouleversant.
Le parcours du combattant
L’histoire d’Amin prend aux tripes dès l’entame, pour ne jamais nous lâcher. À peine a-t-on le temps de le découvrir, enfant jovial dans les rues de Kaboul, que cette parenthèse enchantée nous est refusée. La violence s’abat sur lui constamment, de manière de plus en plus âpre. Il laisse derrière lui un Afghanistan dévasté pour trouver une Russie en plein effondrement, où règne la violence et la corruption. La réalité inhumaine des passeurs clandestins est aussi étalée, sans concession, forçant l’Occident à regarder la réalité des traitements réservés aux réfugiés et le désintérêt dont nous faisons preuve. À plus d’un titre, Flee résonne comme un terrible cri d’alarme. Tel un symbole, Jonas Poher Rasmussen bascule des couleurs chaudes initiales à une froideur clinique des teintes.
Seule subsiste comme constante la cellule familiale pour Amin, mais les événements l’usent au fil des longues années de clandestinité. Son frère tente de remplacer le père mais le poids des responsabilités est accablant, sa mère dépérit devant ses yeux alors que les enfants sont impuissants, les sœurs tentent de gagner la Suède mais l’issue sera proche du drame… Et autour d’eux, comme une machine infernale, la Terre continue de tourner invariablement. Ce qui est anecdotique pour les uns devient un Eldorado pour ce personnage singulier: l’ouverture d’un McDonald’s par exemple est vécu tel une fenêtre sur la modernité, rapidement fermée par l’oppression policière. S’il ne devait persister qu’un sentiment dans le parcours d’Amin, ce serait la peur: celle d’être découvert, ou celle de mourir.
Cicatrice
Au-delà des détails de son parcours que nous laisserons au film le soin de dévoiler, Jonas Poher Rasmussen se pose aussi en témoin d’un présent vécu avec crainte, alors que la chance semble enfin sourir à Amin. Sa parole lui a été reniée pendant toute sa vie, et raconter son histoire devient cathartique. Le héros de Flee revendique le droit d’exister mais s’en excuserait presque, a besoin d’aide pour nous livrer sa confession. Ses mots le libèrent autant qu’ils nous transforment.
Ainsi, son homosexualité, tue pendant le plus clair de sa vie, reste un tabou pour Amin. Sa peur de l’engagement concret alimente cette idée, comme si cet homme devait parler au monde avant de franchir un cap, confier une histoire que même celui qui partage sa vie ignore et qu’on lui a intimé l’ordre de ne jamais exposer. Flee n’en fait cependant jamais trop sur cet axe, il se contente de nous offrir son témoignage sans artifice factice, simplement avec une sincérité suffisante pour ébranler les convictions.
Flee est distribué par Haut et court
Flee réussit le pari de marier documentaire et animation pour offrir une chronique simple mais bouleversante d’un autre monde, qu’on ignore ouvertement et qu’il faut regarder en face. La main est tendue, à nous de l’attraper.
Ping : Les nominations aux Oscars - Les Réfracteurs
Je l’ai vu hier et c’est vraiment bouleversant ce film, très touchant. Je reste marqué par le traitement des migrants qui a empiré en plus de nos jours. Mais comme dit dans la chronique c’est raconté vraiment avec pudeur et délicatesse.
Très touchant en effet. La catégorie docu fourmillait de très beaux films cette année (Ascension <3), et celui ci avait toute sa place. Notre Oracle, engagée bénévolement sur le sujet, a beaucoup aimé.