2022
Réalisé par : Sara Dosa
Avec : Katia Kraft, Maurice Kraft, Miranda July
Film vu par nos propres moyens
A bord de sa légendaire Calypso, Jacques Yves Cousteau dans les années 1950 avait réussi, avec son film Le monde du Silence, à faire découvrir au public la richesse de la faune et de la flore des fonds sous-marins. Deux décennies plus tard, deux autres scientifiques français, Katia et Maurice Kraft s’intéressent à un autre type de paysages méconnus et sont devenus des icônes dans leur domaine de prédilection, ceux, sans vie, des volcans.
Katia et Maurice Kraft sont deux vulcanologues français, originaires de la région de Mulhouse en Alsace, stars des plateaux de télévision durant les années 1970 et 1980 et qui trouvèrent la mort en 1991, tués par une coulée pyroclastique lors de l’explosion du Mont Unzen au Japon. Le film Fire of Love revient sur le parcours extraordinaire de ces deux scientifiques passionnés qui ont sacrifié leur vie personnelle pour leur amour des volcans. Qu’on ne s’y trompe pas. Si le danger et la peur sont des constantes de leur vie, c’est l’enthousiasme débordant qui anime Katia et Maurice qui fait le cœur de ce film documentaire dont la plupart des images, agrémentées de la voix off de Miranda July et de la musique de Nicolas Godin du groupe Air, sont tirées des archives du couple, omniprésents tout au long du métrage.
Le film s’ouvre d’ailleurs sur les dernières images les montrant juste avant leur tragique disparition avant de revenir en arrière et à leur rencontre à la fin des années 1960. Leur engagement politique contre la guerre au Vietnam qui sévit à l’époque, les réunit mais c’est bien leur amour commun des volcans qui fait d’eux un couple extraordinaire. La compréhension scientifique des phénomènes volcaniques est encore primitive au début des années 1970 et comme l’explique Maurice, le modèle expliquant la dynamique globale de la lithosphère terrestre, celui de la tectonique des plaques, vient à peine d’être accepté par la communauté scientifique. L’exploration au plus près des volcans lors des phénomènes d’explosion leur apparaît comme nécessaire. Dotés de moyens rudimentaires à leurs débuts, ils s’approchent d’un volcan icelandais dans une vieille 4L qui rend l’âme à plusieurs reprises, mais la personnalité haut en couleur de Maurice le géologue intrépide associée à celle plus pragmatique de Katia, la chimiste plus prudente, fait des merveilles et le couple acquiert une renommée internationale et des sources de financement leur permettant de voyager à travers le monde pour observer au plus près ces phénomènes extraordinaires.
Dotés d’une caméra (pour Maurice, fasciné par le mouvement) et d’un appareil photographique (pour Katia, à la recherche de la vérité de l’instant), les deux scientifiques reviennent de leurs dangereux périples avec des images extraordinaires qui feront le tour du monde et leur gloire. Les coulées de lave, les explosions en geyser, les nuages de fumée visibles à des dizaines de kilomètres… ils immortalisent ces moments à la fois fabuleux et terrifiants , toujours au plus près possible et au risque de leur vie. Ils n’hésitent d’ailleurs pas à planter leurs tentes au bord des sommets des volcans pour vivre avec eux ces moments intenses. Le film retrace parfois avec humour leur quotidien de scientifiques à la fois rigoureux dans leur approche mais aussi aventureux. La séquence où les deux géologues décident d’emprunter un canoé en caoutchouc pour naviguer sur un lac d’acide afin d’en extraire des échantillons est hilarante dans la manière dont elle est racontée par Maurice: “C’est un lac d’acide sulfurique, on a donc pris un canot d’occasion, on est pas fous quand même”. Katia, la chimiste bien au courant du danger encouru, n’apprécie que modérément cette prise de risque inutile puisque le lac détruit tous les instruments de mesure. Maurice, toujours dans les bons coups, répète à chacun de ses passages télévisés, que son rêve est de descendre une coulée de lave en canoë sur une quinzaine de kilomètres. Le danger est très relatif pour cet homme obstiné qui considère que la connaissance scientifique doit prévaloir sur sa santé et même sur sa vie. Il a en quelque sorte fait sien le précepte de James Dean: “live fast and die young” que l’on pourrait traduire par “vivre à 100 heures quitte à mourir jeune”.
Néanmoins, si la passion est le moteur premier qui les anime, la réalité les rattrape avec le désastre du Nevado del Ruiz en Colombie en 1985. Malgré les injonctions des spécialistes à anticiper une probable catastrophe, les autorités de l’époque préfèrent faire la sourde oreille en raison du coût que cela engendrerait, causant la disparition de plus de 25 000 hommes et une zone anéantie. Maurice, étant occupé à faire la promotion de son dernier film, Katia assiste seule au résultat de cette éruption funeste et ne cesse alors d’essayer de faire évoluer les mentalités des différentes autorités vivant dans des zones à risque. Leurs travaux de recherche perdent alors, pour eux, le seul plaisir de la recherche fondamentale pour devenir une recherche appliquée, au service des gens. Depuis leurs débuts à la fin des années 1960, ils n’ont eu de cesse d’essayer de fuir la folie des hommes pour se rapprocher de la nature. Suite à cette catastrophe, leur approche change radicalement et se décident à poursuivre leurs recherches afin de protéger au mieux l’humanité.
Enfin et c’est là que la marque de la cinéaste Sara Dosa se fait le plus sentir, Fire of Love est aussi un film captivant sur la mise en scène des Kraft eux mêmes. Comme Cousteau avant eux, ils savaient que ce qui survivrait de leur travail était non seulement les images qu’ils ramenaient mais qu’il était également essentiel qu’ils donnent un visage à leur recherche ; le leur. Pour mieux vendre leur passion, Katia et Maurice sont devenus les acteurs majeurs de leurs films, de leurs bonnets rouges assortis (encore un clin d’œil à Cousteau) à leurs combinaisons calorifuges en papier d’aluminium faites maisons et immédiatement iconiques. Leurs personnalités en deviennent changées par la caméra et la nécessité d’offrir un spectacle au public que ce soit dans leurs films ou lors de leurs apparitions sur les plateaux de télévision.
Fire of Love est un documentaire, constitué exclusivement de documents d’archives, à la fois poignant, touchant et rigoureux à l’image de ces deux scientifiques passionnés qui ont donné leur vie pour comprendre au plus près le fonctionnement des volcans.
Fire of Love est disponible sur Disney+.
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