Don’t Look Up: Déni cosmique
Don't Look Up affiche

2021

Réalisé par: Adam McKay

Avec: Leonardo DiCaprio, Jennifer Lawrence, Meryl Streep

Film vu par nos propres moyens

Dans un monde en perpétuel conflit, où les opinions contraires se confrontent pour tout et pour rien, la sagesse est difficile à trouver. Même lorsqu’un consensus scientifique s’opère, l’amplification des paroles les plus consternantes nuit aux évolutions de la société. Ainsi, selon une étude IFOP récente, 9% de français interrogés déclarent ne pas croire que la Terre soit ronde, mais plutôt plate. Presque une personne sur dix. Un chiffre aberrant, presque injurieux pour l’intelligence humaine, mais bien réel et auquel il faut faire face. Faisant office de pavé dans la mare dans le catalogue Netflix, le film Don’t Look Up d’Adam McKay porte en lui la volonté indéniable de démonter ce système mortifère où l’éducation est mise à mal. Si son angle d’attaque est très américain, son intention n’en reste pas moins universelle et vient caresser toutes les thématiques profondes de notre époque. La phrase d’accroche qui accompagne le long métrage sur ses affiches promotionnelles ne ment pas et résonne comme un avertissement: “Inspiré de faits potentiellement réels”.

Depuis leur observatoire du Michigan, les scientifiques Kate Dibiasky (Jennifer Lawrence) et Randall Mindy (Leonardo DiCaprio) font une découverte effrayante: un astéroïde de plusieurs kilomètres de large se dirige droit vers la Terre et sa collision pourrait bien sonner le glas de l’espèce humaine. Lancé dès lors dans une course contre la montre, ce duo tente d’alerter le monde du danger qu’il encourt. Toutefois, les problèmes s’accumulent sur leur chemin: outre le désintérêt flagrant d’une partie de la population, ils se frottent à la bêtise du pouvoir en place, incarné par la présidente américaine Orlean (Meryl Streep), au cirque médiatique plus soucieux des derniers potins mondains et à l’emprise des grandes corporations cupides sur le quotidien des hommes.

Un triste état des lieux

Inutile de tourner autour du pot et allons droit à l’essentiel: à travers cet objet céleste qui annonce une apocalypse prochaine, Adam McKay se fait le porte parole des problèmes actuels qui frappent notre monde, en premier lieu desquels le réchauffement climatique. Plus d’un indice, pas toujours très subtil, le soulignent lourdement, comme l’image récurrente d’un ours polaire. Il convient alors de s’interroger sur tout ce que Don’t Look Up s’évertue à dénoncer. Omniprésente pendant l’ensemble du film, la remise en cause de la parole des scientifiques, malgré le consensus annoncé, résonne comme un douloureux cri d’alarme. Ils ne sont pas loin des climato-sceptiques, les personnages idiots qui refusent d’admettre l’inévitable. Les preuves matérielles avancées par les académiciens sont perpétuellement confrontées aux opinions d’ignares soucieux de leur propre intérêt. Ainsi, 99,75% de chances de collision se voit réduit à 70% par une simple décision politique. Probablement malgré lui, Adam McKay tisse également un axe narratif autour de la crise du COVID et des conspirationnistes qui entretiennent des théories fallacieuses. Le monde de Don’t Look Up est idiot, terriblement.

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Kate et Randall sont alors les seuls garants de la vérité mais obligés de travestir leur parole pour qu’elle devienne admissible par les masses. Randall, tout spécialement, devient progressivement le “beau scientifique”, celui dont l’image rayonnante de beauté rend le message intelligible par simple souci du paraître. Tout le barnum médiatique est passé au crible par Adam McKay, sans demi-mesure. Les chaînes d’information ne sont plus que des machines inhumaines, où seule la loi de l’audimat compte: le monde peut bien mourir demain, l’important reste la rupture de starlettes éphémères. Pourtant, le cinéaste signe un élan bien intriguant. Cate Blanchett, qui incarne une animatrice de Talk-Show, n’est pas une idiote: elle parle plusieurs langues, est bardée de diplômes, récite de la poésie… Simplement, son intelligence n’est pas utilisée et sa condition de potiche est mise en avant. Sa relation avec Randall apparaît alors comme profondément ironique, celle de deux êtres unis par les feux de la rampe, condamnés à l’idiotie de façade.

Ceux qui nous dirigent

Toutefois, s’il existe une cible toute désignée pour cette satire que nous offre le réalisateur, elle réside sans aucun conteste dans la figure des dirigeants qu’il nous offre. La présidente Orlean, version féminine pas du tout déguisée de Donald Trump, se dévoile comme une manipulatrice de foule dont seul l’agenda politique compte. Une mission de sauvetage est mise sur pied pour… coller aux élections de mi-mandat du personnage. Si sa bêtise crasse, et à plus forte raison celle de son fils, est ostensible, son égoïsme l’est tout autant. Un élément de scénario qui va de paire avec un autre protagoniste: le patron d’une émanation d’un pastiche d’Apple ou de Facebook que joue Mark Rylance. Intimement lié à Orlean, puisqu’on le présente en principal financeur de sa campagne, il restitue un mal de notre époque: notre quotidien n’est plus entre nos mains, mais entre ces grands patrons qui décident ce que l’on doit consommer. Le majeur est totalement levé lorsque ce sinistre personnage tente de tirer profit du désastre à venir.

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Quelle place pour les gens normaux dans ces conditions ? Le constat se révèle tragique et Don’t Look Up devient politique, s’il ne l’était pas déjà de façon peu implicite, reconnaissons-le. Une fracture entre gauche et droite transparaît. Les républicains sont une masse désincarnée, affreusement bête, qui se rallie derrière des symboles d’une autre époque et des slogans faciles, comme celui qui donne son titre à l’œuvre. “Don’t look up”, ne regardez pas le péril devant votre nez, continuez de vivre égoïstement. En opposition, les personnages plus instruits ne trouvent pas de solution à cette cassure. Tout au plus, en fin de film, Adam McKay, prône une forme de résignation et une invitation à renouer avec les valeurs fondamentales de l’espèce humaine, comme l’amour et la famille. Sa vision d’une jeunesse désabusée semble aller dans ce sens, mais on regrettera certainement la tentative de message religieux qui ponctue le long métrage.

De la forme depuis le fond

En se penchant sur Don’t Look Up, il convient de souligner les différences entre la comédie potache, ce que ne refuse pas toujours le film mais qui ne constitue pas son cœur, et la satire ou la farce, sans doute plus inscrite dans son ADN. On ne glisse pas sur des peaux de bananes, on ne se roule pas par terre devant des jeux de mots idiots… À vrai dire, on ne rigole même pas vraiment devant Don’t Look Up. C’est la situation, et le tragique qu’elle engendre face aux réactions lunaires de ses protagonistes, qui devient percutante. Le long métrage est cynique, caustique, acide et vengeur. De notre point de vue européen, peut-être a-t-on du mal à assimiler l’œuvre en tant que telle, nous qui sommes plus éclairés sur les problèmes environnementaux, mais aux USA où vivent de nombreux climato-sceptiques, la proposition de Netflix apparaît nécessaire. Adam McKay n’est peut-être pas le meilleur choix, mais Don’t Look Up est un film qui se devait d’être réalisé, comme une vérité indispensable.

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Reconnaissons d’ailleurs quelques belles qualités au long métrage, en adéquation avec son message profond. Sa bande originale, par exemple, aux accents jazzy, à la fois mélancolique et malicieuse, se fait un parfait accompagnateur sonore du périple de Randall et Kate. Toutefois, c’est probablement par le montage que Adam McKay communique le plus. De très nombreuses séquences exposent des plans très rapides de notre planète, du monde animal à celui des humains, de l’Orient à l’Occident. La mise en images se veut globale dans un film totalement choral, elle englobe la Terre entière et force chacun à faire face à l’importance du propos délivré. Don’t Look Up interpelle l’ensemble des humains, et qu’on soit fermé ou ouvert à son message, l’indifférence est difficile à éprouver, au risque d’être aussi bête que les personnages du film.


Don’t Look Up est disponible sur Netflix

Si Don’t Look Up n’est pas totalement convaincant dans sa forme ou dans son fond, des fulgurances filmiques et l’importance d’un message qui se doit d’être formulé permettent au film d’être relativement important dans un monde en perdition.

Nicolas Marquis

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