Annette

2021

Réalisé par : Leos Carax

écrit par les Sparks

Avec : Adam Driver, Marion Cotillard et Simon Helberg

Film vu par nos moyens

Parfois lorsque vous poussez les portes d’une salle de cinéma, il se passe quelque chose de magique, une rencontre, une vague qui vous fait chavirer, un projet qui naît. C’est l’histoire du film dont je vous parle aujourd’hui : Annette.

. Les frères Ron et Russell Mael alias le groupe de musique les Sparks, travaillent sur Annette leur prochain album. Ils envisagent la création sur scène d’un spectacle narratif. C’est à ce moment-là qu’ils découvrent le film, Holy Motors, réalisé par Leos Carax. Celui-ci utilise une des chansons du groupe dans son film. Les deux frères adorent le long métrage et décident après avoir rencontré le réalisateur de transformer en film leur projet de disque mis en scène par Carax qui semble comprendre leur univers. 

C’est en 2021 en ouverture du festival de Cannes et après beaucoup de péripéties pour financer le projet, que nous découvrons le résultat de cette association.

So May we start ?

Avec Annette., Les Sparks nous proposent un scénario sous la forme d’un livret d’opéra, pour raconter l’histoire d’amour tragique de Henri (Adam Driver),un comique et Ann (Marion Cotillard) une cantatrice. Leur histoire connaît un rebondissement tragique à la naissance de leur fille Annette.

Le film utilise un mélange de différents procédés employés par le théâtre et le cinéma pour illustrer ce destin funeste. Cela commence dès l’introduction où après avoir entendu une voix off nous demander de ne plus respirer, nous retrouvons Leos Carax dans un studio de musique qui demande aux Sparks, si «on peut commencer ». Une chanson au rythme enjoué se lance, nous faisons connaissance avec tous les acteurs qui nous parlent de leurs rôles ainsi que du récit que nous allons suivre avant d’enfiler leurs costumes et entamer la fiction. Ce procédé s’appelle « la distanciation » et nous le devons à l’homme de théâtre, Bertolt Brecht. Il aimait rappeler à son audience qu’il assistait à un récit imaginaire. On pouvait souvent voir des acteurs entrer nus sur scène pour enfiler leurs costumes ou bien encore s’adresser à la foule, brisant le cours du récit.

C’est exactement ce que nous allons retrouver ici, des personnages qui vont s’adresser au public comme dans la scène où l’accompagnateur de Ann (Simon Helberg) stoppe le récit pour se présenter aux spectateurs et poser sa relation avec la cantatrice ou bien encore l’utilisation d’une marionnette pour incarner la petite Annette

On retrouve également des éléments de mise en scène plus classique, comme les scènes d’opéra, très épurées, donnant l’impression qu’Ann évolue dans un décors antique. Enfin pour terminer, ce sont aussi des outils cinématographiques qui vont être utilisés pour finir d’illustrer cette tragédie. Les amourettes sont montées et mises en scène comme un clip musical assez nunuche, nos héros s’aimant dans la prairie. Les moments de tensions seront illustrés par du clair obscur et des scènes de conduite la nuit, éclairées par des phares de voitures et de motos qui aurait pu sortir tout droit d’un film de David Lynch

Annette. regorge d’inventivité, comme une scène de danse au ton onirique qui nous rappelle la magie de Méliès

Tout ceci n’est là que pour une chose, mettre en garde le public sur le drame qui se joue. Le destin s’est penché sur ces deux personnages, l’ange de la mort plane sur eux. Après la scène d’intro, Leos Carax appuie cette idée directement avec son montage ainsi que des mouvements de caméra. Henry est filmé sur sa moto en contre plongée, avant  que le cinéaste ne tourne autour, C’est un prédateur. De l’autre côté nous découvrons une Ann apeurée dans sa voiture, elle est gênée par la lumière des phares comme une biche innocente. Au théâtre on la découvre en blanc allongée dans la brume, opposée à Henry qui se prépare à monter sur scène comme un boxeur.

Tout est posé : Il est violent, elle est douce. Ça ne peut pas se finir en « happy end ». Les acteurs jouent d’ailleurs beaucoup avec leur corps pour accentuer encore plus l’angoisse dans laquelle nous plonge le film. Marion Cotillard est tout en délicatesse, souvent courbée, on a l’impression parfois d’assister à la performance d’une actrice du temps du muet, jouant avec son regard et son corps. En face, Adam Driver est impressionnant, c’est une brute tout en force et sans finesse, il est violent et possessif. On sent une folle énergie qu’on ne peux pas arrêter, comme une force démoniaque prête à exploser. On craint le personnage tout au long de cette histoire. Les Sparks et Leos Carax par leurs techniques nous livrent au final une réinvention de la tragédie grecque.

Une vague d’émotions.

Si notre équipe créatrice est soucrieuse de nous rappeler sans cesse que cette histoire de famille brisée par la folie d’un homme est une fiction, c’est pour au final mieux nous toucher, nous secouer et ainsi nous faire prendre conscience de l’horreur à laquelle nous assistons.

Les montages d’instants de vie vue par des paparazzis peuvent prêter à sourire par leur ridicule. Il y aussi ces scènes de rêves, comme celle d’Ann à l’arrière d’une voiture qui découvre sur un écran de télévision des femmes témoignant des violences qu’elles ont subi de la part de Henry. on se demande si c’est un rêve ou bien la réalité. Puis au détour d’une scène, Leos Carax nous livre une séquence brute et réaliste qui nous fait prendre conscience que le rêve, la fiction est en fait de vrais évènements affreux et glaçants que vivent ces personnages et que l’on peut vivre dans la réalité, comme une scène de sexe non consenti, de la violence physique et psychique. Il est cependant dommage que les chansons ne soient pas aussi inventives et fortes que la réalisation de Leos Carax.

Certains des titres du livret écrit par les Sparks sont plutôt plats et vite oubliables ce qui nuit parfois à l’intensité d’une scène.

Le point le plus fort en émotion vient d’Annette et du chef d’orchestre (le personnage n’a pas de nom) qui m’aura permis de découvrir un vrai talent d’acteur pour Simon Helberg bien plus touchant et nuancé que dans Big Bang Theory. Son rapport avec la petite fille est déchirant . C’est une enfant tremblante, ayant perdue sa mère, maltraitée et exploitée par son père. Le chef d’orchestre est lui un homme brisé par le chagrin causé par la mort de la femme qu’il aimait. C’est un point important dans le récit qui fait monter d’un cran la tragédie et la violence de l’œuvre. Ann, ne supportant plus les violences d’Henry, avait trouvé refuge dans les bras de ce chef d’orchestre dévoué. Le comble pour Henry: cet homme est peut être le père d’Annette, cet enfant qu’il ne voulait pas mais dont il a besoin pour garder son train de vie.

Ne supportant pas une fois de plus de perdre sa possession, il élimine ce nouvel obstacle.

Pour terminer, parlons d’Annette. C’est l’élément central du film. Elle représente pour sa mère du réconfort dans une vie dans laquelle elle se sent prisonnière. Pour le chef d’orchestre, elle est la réincarnation de l’amour qu’il a perdu, mais pour son père, la pauvre petite ne représente que de mauvaises choses. Elle est un boulet, lui qui ne semble pas se satisfaire de sa vie d’homme marié, elle est celle qui lui vole Ann, son objet. Il s’assoie sur le pantin Annette, ne s’en occupant pas. Il lui hurle dessus lorsqu’il en a marre. C’est horrible mais c’est une marionnette après tout. Par la suite elle va devenir un symbole de sa culpabilité et un outil de punition. C’est la malédiction qu’Ann fait peser sur lui pour se venger de son meurtre.

Henry est dans l’auto-destruction tout au long du film. C’est pourtant Annette qui va lui porter le coup de grâce en se rebellant en avouant en public que son père est un meurtrier.

Le personnage dans cette scène semble soulagé par cet aveux. Il ne niera d’ailleurs plus les faits, prêt à payer pour ses crimes.

Arrive alors la dernière chanson. Henry est en prison et Annette veut le voir. Ce n’est plus une marionnette qui incarne la petite mais une véritable actrice. Le public comme son père est rappelé à la pure réalité, c’est un enfant qui a été maltraité et témoin de la violence de son père. Le choc est là aussi bien pour le personnage que pour nous. C’est glaçant. Henry prend conscience totalement de son atrocité et, confronté aux yeux de l’enfant, il lui demande pardon. Annette le détruit en lui refusant ce pardon et en l’abandonnant, elle ne le verra plus, elle niera même son existence.  C’est une conclusion puissante que nous livre le film sur un monstre détruit par le regard de l’innocence qui l’a brisé.

Annette était bien l’histoire tragique que l’on nous avait annoncé, un conte ancré dans son époque pour mettre en garde les femmes contre les monstres se cachant sous le masque charmeur de l’homme ténébreux. On pense apprivoiser la bête mais c’est impossible.

Annetteest disponible en dvd et Blu-ray chez UGC

Annette est une œuvre marquante et suffocante par son inventivité visuelle, ainsi que par les prestations engagées des acteurs qui se donnent à fond pour faire vivre cette tragédie moderne. Il est dommage que le livret musical ne soit pas toujours à la hauteur du travail grandiose fourni par Leos Leos Carax. Il nous chavire, et nous fait passer par tout un tas d’émotions. Il ne faut surtout pas rater cette expérience sensorielle et visuelle.

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