Cyrano
Cyrano Affiche

2022

Réalisé par: Joe Wright

Avec: Peter Dinklage, Haley Bennett, Kelvin Harrison Jr.

Film vu par nos propres moyens

Dans l’infini cortège des œuvres maintes fois adaptées, Cyrano de Bergerac était, à de très rares incursions prêt, resté une spécificité française. C’est même avec un certain brio que le cinéma hexagonal avait su s’emparer de la pièce originale, comme dans l’adaptation de 1990 signée Jean-Paul Rappeneau, ou de la trajectoire d’Edmond Rostand, l’auteur de Cyrano, dans le biopic Edmond , sorti en 2018 et réalisé par Alexis Michalik. La curiosité était donc de mise à l’annonce d’une relecture américaine du récit légendaire, porté par de multiples citations au bal des récompenses 2022. L’appétit se doit pourtant de laisser place à la méfiance devant le choix du cinéaste Joe Wright de transposer l’histoire en comédie musicale bien peu inspirée. Au final, le fiasco que le personnage de Cyrano nous promet de nous éviter dans la scène d’ouverture du film, au cœur d’un théâtre, est total.

Pourtant dans les grandes lignes, Joe Wright ne s’écarte que très peu d’Edmond Rostand: Cyrano de Bergerac (Peter Dinklage) est un fier bretteur et un manieur de mots hors pair. Son âme brûle pour la douce Roxanne (Haley Bennett) à qui il n’ose avouer son amour, malgré ses envolées lyriques grandiloquentes, de peur que son physique atypique ne la révulse. Lorsque la belle confesse à Cyrano son amour pour Christian (Kelvin Harrison Jr.), un de ses subordonnés, le héros du film décide d’aider son rival dans sa quête affective: il lui fournit les paroles, tandis que le bellâtre incarne l’idéal physique pour séduire Roxanne. Pour ainsi dire, en dehors de la forme musicale, seule la volonté de remplacer le grand nez usuel de Cyrano par le handicap de Peter Dinklage, personne de petite taille, marque une rupture avec la pièce de théâtre. 

À côté de la plaque

Cela aurait pu suffir pour livrer un long métrage convenable, mais faire l’expérience du 7ème art c’est épouser le point de vue d’un cinéaste, et celui de Joe Wright passe désespérément à côté de son sujet. En choisissant de magnifier à l’extrême Cyrano, dans une scène de confrontation avec 10 mercenaires, proche de l’imagerie d’un film Marvel, le réalisateur, en plus de nous prouver son manque de talent criant pour la retenue, dépossède totalement son personnage de toute part bestiale, essentielle au récit d’Edmond Rostand. Peter Dinklage apparaît déifié, et tout le conflit intérieur inhérent au héros de la pièce passe un peu aux oubliettes. Fini la figure du monstre, cabotin mais aussi sauvage, comme l’avait par exemple proposé Gérard Depardieu, ce Cyrano nouveau est surhumain et lisse en même temps. De quoi faire confiner la performance de l’acteur avec deux heures de jérémiades d’un chiot apeuré, une innocente victime de la vie. Pour parfaire le portrait, il convient de signaler à ceux qui espérait que le choix d’un acteur handicapé allait apporter des thèmes nouveaux qu’il n’en est rien: jamais la société n’est interrogée dans son rapport aux hommes différents, la particularité de Cyrano ne tourmente que lui. Douce utopie.

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Même les axes de lecture les plus visibles dans l’œuvre d’Edmond Rostand semblent traités par-dessus la jambe par un Joe Wright en pleine crise artistique. Tout ce que son film développe, c’est un message prémâché et micro ondé de l’importance de la beauté intérieure sur les attraits du corps. Une ligne directrice du mièvrerie complètement révoltante, simpliste jusqu’à l’injure, qui dirige Cyrano droit dans le mur. Il n’existe plus aucune relation de codépendance entre Cyrano et Christian, parfaite andouille de l’histoire. L’attachement à Roxanne semble également factice, faits de bons sentiments improbables. Dès lors, le poids d’une vie et de la mort, au centre du dénouement, ne s’imprègne pas le spectateur.

Y a-t-il un pilote dans l’avion ?

Mais peut-on en vouloir totalement à Joe Wright ? Difficile de l’accabler de tous les griefs: comment aurait-il pu atteindre une autre tension dramatique, plus subtile, alors que Haley Bennett et Kelvin Harrison Jr. redoublent d’inventivité pour être les plus translucides possible. Certes, la traduction du texte originel en langue anglaise n’est pas des plus heureuses, mais les deux comédiens démissionnent de leur rôle, imitent plutôt qu’ils interprètent. Ceci dit, vu l’accumulation titanesque de plans où les protagonistes finissent le regard songeur dans le vide, on imagine que la direction d’acteur n’était pas une priorité. Même Peter Dinklage, dont on sait le talent, n’échappe pas à ce dogme. “Regarde l’horizon et imagine qu’on t’as piqué le dernier morceau de raclette. Parfait, on la garde !

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Pour parachever ce qui confine au spectacle de la troupe de théâtre du lycée de Lancaster, Pennsylvanie, l’approche visuelle comet crime sur crime. Outre l’envie affirmée de Joe Wright de nous faire perdre 3/10 à chaque œil par son éclairage aveuglant, alors que le jeu de lumière est son seul mode d’expression, la reconstitution historique ne convainc pas un instant. Les costumes sont impeccables, sans une trace de boue qui devait pourtant pulluler à l’époque, toujours fraîchement sortie de la buanderie, et les décors semblent faits de toiles et de panneaux de bois peints. Pourtant, Cyrano concourra bien aux Oscars pour ses attributs vestimentaires.

Et en musique !

Reste dès lors à évoquer le plus gros problème du long métrage, le choix même qui devait en faire une pépite originale: l’aspect comédie musicale. Non seulement les chansons proposées sont effroyablement mauvaises, dans un registre proche de la pop des années 2000 et aux paroles minables, mais les performances vocales du casting sont en dessous de toute décence humaine. On a de la peine pour Peter Dinklage qui de toute évidence n’est pas chanteur et se démène lourdement. C’est par contre bel et bien de la rage, une fois de plus, que convoquent Haley Bennett et Kelvin Harrison Jr.. Les deux acteurs renvoient perpétuellement l’image de deux star académiciens, près à se faire houspiller par leur prof d’expression scénique. Cyrano verse dans la variété.

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Summum du mauvais goût, Joe Wright se noie dans les instants chantés au fil d’une imagerie de clip bon marché, voire de vidéo de Karaoké pour restaurant chinois. Le cinéaste se croit imaginatif, mais emmagasine en fait tous les clichés imaginables, au point de faire naître un sentiment de gêne terrifiant au moment où Roxanne se prélasse langoureusement sur son lit, ou lors de “La danse des boulangères”. Même à ces moments là, le film sombre. “Avez-vous déjà voulu si fort quelque chose, que vous en avez le souffle coupé ?” interroge le long métrage. Oui: le générique de fin.

Rien à sauver de la noyade qu’est ce Cyrano, coincé entre un carnet de chansons vomitif, une réalisation de mauvais gout, et une légèreté exaspérante.

Nicolas Marquis

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