(Cheyenne Autumn)
1964
de: John Ford
avec: Richard Widmark, Carroll Baker, Karl Malden
Pour commencer, un petit jeu: fermez vos yeux 5 secondes (pas plus, sinon vous ne pourrez pas lire la suite!) et représentez-vous au milieu des plaines arides américaines, à l’époque de la ruée vers l’or. C’est bon? En toute honnêteté, les décors que vous aviez en tête étaient-ils nets ou d’un aspect usé? Pour la plupart d’entre nous, et à plus forte raison pour un cinéphile, s’imaginer le Far West c’est se projeter dans un univers aux images granuleuses, héritées des pellicules de l’âge d’or d’un genre cinématographique si particulier. C’est dire à quel point la conscience collective a été marquée par Hollywood. Plongeons aujourd’hui dans “Les Cheyennes”, une œuvre de l’un des maîtres du Western, John Ford.
« Les Cheyennes”, c’est l’histoire d’un périple, de l’exode de toute cette tribu Amérindienne, qui lassée des fausses promesses du gouvernement américain va parcourir 1500 miles pour rejoindre la terre de leurs ancêtres, le plus souvent à travers des zones désertiques et arides.
Cette histoire est étonnante à plus d’un titre. Déjà pour la prouesse accomplie par cette tribu que la cavalerie talonne. Mais surtout, si on prend un peu de recul, on s’aperçoit que “Les Cheyennes” est bien différent des autres grands succès du Western car pour une fois, les Indiens ne sont pas une menace, mais davantage les vrais héros du film. Une singularité surprenante pour l’époque, alors que Hollywood avait plutôt tendance à réécrire l’Histoire pour camoufler le génocide des natifs Américains. Bien sûr, le film n’est pas totalement honnête, et les “têtes d’affiches” du long-métrage sont des acteurs et actrices à la peau blanche, membres de l’armée, shérifs ou autre Quakers. Mais la volonté de John Ford de porter un regard critique sur cette époque est indéniable. Pour preuve: nombreux dialogues sont en dialecte Cheyenne, sans sous-titres. On comprend les intentions par les gestes et les attitudes, mais c’est là une chose incroyablement rare pour l’époque.
Le scénario du film appuie cette volonté d’offrir aux Amérindiens la place qu’ils méritent. La cruauté des “visages pâles” est partout: dans les fausses promesses du gouvernement, dans la cavalerie qui tente de les rattraper, ou encore dans les cowboys qui croisent la route des Cheyennes et qui dégainent leurs armes pour le simple plaisir de tuer, par cruauté gratuite. Ce racisme d’État, cette volonté d’américaniser les vrais Américains, vient s’ajouter aux conditions de voyage précaires qui pèsent sur la tribu, comme la faim et la chaleur. Les Cheyennes sont des martyrs que le film va prendre en sympathie: répétons-nous, c’est rare pour l’époque.
« Vive la Pologne libre!!! »
Dans cette histoire héroïque, John Ford va tout de même devoir s’appuyer sur des personnages blancs, dont la morale les pousse à compatir avec les Indiens. Richard Widmark, par exemple, interprète un capitaine de l’armée américaine qui va tenter de contenir l’attitude “va t’en guerre” des autres soldats. On pense aussi à Carroll Baker qui campe elle une institutrice qui va accompagner les Cheyennes avec qui elle a sympathisé. Deux personnages qui s’opposent aux ordres et à la mentalité ambiante. Deux protagonistes utiles pour le récit, mais qui apparaissent parfois d’une manière tellement positive qu’on doute qu’ils aient réellement existé dans le contexte de l’époque.
Heureusement, pour contrebalancer, John Ford va faire feu de tout bois sur la politique du 19ème siècle. Ainsi, la cassure entre la réalité du terrain et les ordres des supérieurs, bien tranquillement installés dans les villes, est totale. Au détour d’une scène, le cinéaste va aussi tacler la presse, qui change d’avis sur le périple des Cheyennes au gré de l’opinion publique. Mais surtout, le réalisateur va critiquer ouvertement les institutions de l’époque et leurs ordres arbitraires et cruels.
Et qui de mieux que John Ford pour mettre en scène ce périple? Lui qui était l’un des plus grands réalisateurs de Western ayant jamais existé fait étalage de sa science pendant tout le film. Tous ces panoramas aux cadrages réfléchis reflètent l’enfer de ce voyage. Quand la cavalerie sonne la charge, il l’accompagne d’un traveling fantastique suivant le rythme des soldats qui démarrent au trot pour finir au grand galop. Un maître du genre, tout simplement.
Enfin, finissons par souligner l’apparition très courte de l’immense James Stewart, l’un des acteurs favoris des Réfracteurs. Lui qui a plusieurs fois accompagné John Ford au cinéma est ici presque un simple caméo, mais en une poignée de minutes, il va éclabousser la pellicule de son talent et offrir une parenthèse comique à un film au ton dramatique, sans dépareiller pour autant. Mais réservons lui une lettre d’amour enflammée pour un film qui le mettra davantage en avant.
Ils sont rares pour l’époque, les films qui prennent en sympathie les Amérindiens pour leur redonner une place plus juste dans l’Histoire. “Les Cheyennes” est clairement de ceux-là, et cela mérite tout notre respect!