Tastr Time: Sueurs froides

(Vertigo)

1958

de: Alfred Hitchcock

avec: James StewartKim NovakBarbara Bel Geddes

Chaque samedi, Les Réfracteurs laissent le choix du film au sympathique générateur de conseils culturels “tastr.us”, en prenant la première recommandation proposée, sans limite d’époque. Cette semaine, Tastr a sélectionné pour nous “Sueurs froides” de Alfred Hitchcock.

À plus d’un titre, “Sueurs froides” est un film à part. Premièrement parce qu’il donne son nom à un effet visuel, censé reproduire la sensation de vertige où tout du moins de malaise: le “vertigo effect” dont on évoquait l’apparition dans le dernier ROD qui tombait décidément très bien. Là, tout de suite, on se dit que derrière la caméra y’avait un sacré bonhomme. C’est quand même pas tous les jours qu’un long-métrage légue son nom à une pratique de réalisation pure! Ce qui nous mène tout droit à la deuxième particularité: l’œuvre est probablement l’une des plus étonnantes d’Alfred Hitchcock pour son côté mystérieux certes, mais aussi presque surnaturel par moment. Toujours prompt à installer le couvert pour mieux retirer la nappe sans faire bouger la vaisselle, avec brio le cinéaste signe là une très légère incursion dans le domaine du fantastique pendant une bonne partie du film. Hommage au côté nébuleux et vaporeux d’un chef-d’oeuvre.

On allume les bougies, on sort la planche de Ouija et on astique les boules de cristal, c’est parti pour le résumé. À la suite d’un accident mortel pour l’un de ses collègues, John (James Stewart), victime de violentes crises de vertige liées au drame, préfère se retirer des forces de l’ordre. Contacté par un ami d’école, il va suivre sur ses ordres la femme de ce bon vieux pote, Madeleine (Kim Novak), pour déterminer si elle est possédée par un esprit ou si elle a simplement les fils qui se touchent. Mais au cours de ses filatures, John va s’éprendre passionnément pour elle.

Partons du plus pragmatique pour se rendre une fois de plus compte à quel point les talents conjugués de James Stewart et Alfred Hitchcock se marient à merveille. L’acteur offre non seulement une performance solide, proche du rôle de type obsessionnel qu’il campait dans “Fenêtre sur cour”, mais il sait aussi tirer vers le haut sa partenaire à l’écran Kim Novak, voire volontairement s’effacer, pour former un couple mythique.

Leur passion intrigue: ces deux amants maudits semblent s’aimer mutuellement mais à des instants différents, comme un triste canon musical. C’est justement l’une des particularités de “Sueurs froides” dans la filmographie de Hitchcock: le réalisateur brouille les pistes mais le fait dans un élan presque mystique. D’abord un peu perchée, Kim Novak est presque aussi spectrale qu’escompté, donnant lieu à l’une des meilleures scènes du réalisateur: celle où en se baladant dans un parc, Madeleine désigne dans la coupe d’un tronc d’arbre millénaire les cernes qui ont vu naître et mourir la femme qui la hante. Envoûtant déjà le brave James Stewart pendant ses filatures, sa vulnérabilité du moment finit de le séduire. Pour autant, les sentiments de la jeune femme ne semble s’affirmer qu’après. Ce décalage voulu accentue le côté “malaise volontaire” du film déjà bien affirmé par les crises de vertige de notre héros.

« Un chouette manteau en peau d’ours polaire. »

Autre fait notable dans la construction du film: Hitchcock n’entretient pas le mystère jusqu’au bout. À mi-film, et après une scène totalement hallucinatoire, il va changer de cap. Plus fort encore, il va vous donner toutes les clés de l’intrigue et transposer ainsi la tension dramatique sur d’autres enjeux. En gros, il vous l’a fait à l’envers! Vous pensiez être en terrain connu et d’un coup, il chamboule les règles et change également presque de personnage principal. Une façon bien singulière pour Hitchcock d’aller chercher plus de fond.

Mais l’un des facteurs les plus attachants de “Sueurs Froides” c’est l’affirmation d’un troisième protagoniste, omniprésent à l’écran: San Francisco. Hitchcock adresse presque une véritable lettre d’amour à la ville, aidé par d’intelligentes perspectives et de jolis thèmes musicaux de Bernard Herman. Cette sensation, ceux qui comme nous ont vécu dans les grandes villes la connaisse. Ce sentiment que des grands monuments aux petites ruelles anodines, l’espace urbain nous appartient. C’est que ces endroits familiers, on y a vécu tant de souvenirs: aimé, haï, partagé, pleuré… On les a gravés au fond de nous ces recoins des villes de nos cœurs. La démarche d’Hitchcock, celle de proposer à ses personnages une ballade presque fantomatique, aussi évanescente qu’un souvenir qui nous revient pour repartir aussitôt montre à quel point “Sueurs Froides” est indissociable de San Francisco.

Avec “Psychose”, voilà le deuxième véritable film essentiel qu’on vous conseille dans la filmographie d’Hitchcock. Forcément à part car ce n’est pas simplement un génial long-métrage du réalisateur, mais véritablement une œuvre qui transcende son cadre.

Nicolas Marquis

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