The Perfect Candidate

2020

réalisé par: Haifaa Al-Mansour

avec: Mila Al ZahraniDae Al HilaliNora Al Awad

Une fois de temps en temps, pas très souvent on vous le concède, acheter un ticket de cinéma n’est pas un geste anodin. Dans quelques rares occasions c’est aussi l’opportunité de soutenir une cause, presque une démarche politique. En déboursant une poignée d’euros, vous avez l’opportunité de vous dire: “cet argent ne servira pas qu’à égayer mon après-midi mais marquera mon adhésion à une démarche aussi artistique que politique”. Ce sentiment est indéniablement celui qu’on éprouve au moment de passer à la caisse de nos salles de cinéma favorites pour découvrir “The Perfect Candidate”. Non seulement vous aidez les exploitants de salles qui en ont bien besoin en ce moment, mais vous marquez également votre sympathie pour Haifaa Al-Mansour, une des rares femmes cinéastes d’Arabie Saoudite, un pays particulièrement patriarcal. En quelques lignes, on va tenter de vous démontrer en quoi ce geste est si important.

Maryam (Mila Al Zahani) est une doctoresse qui doit affronter dans sa clinique le machisme des hommes qui refusent d’être soignés par une femme. À la suite d’un imbroglio, elle va se retrouver candidate à l’élection municipale de sa ville avec un vrai cheval de bataille: refaire la route boueuse qui mène à l’hôpital pour que les patients arrivent le plus vite possible. Une cause indéniablement juste mais qui va la mettre sous le feu des projecteurs et qui va l’opposer à la mentalité de ceux qui estiment qu’une femme n’a pas sa place dans le paysage politique.

Dès l’introduction du film, Haifa Al-Mansour pose clairement les enjeux en une poignée de secondes: la route chaotique qui mène à l’hôpital, un patient qui refuse les soins prodigués par l’héroïne par pur machisme et notre protagoniste qui ne se démonte pas pour autant. Un modèle d’entame de film qui plonge immédiatement le spectateur dans l’histoire et qui impose un personnage principal qui pourrait presque être la petite fille qui rêvait d’un vélo dans “Wadjda”, un précédent film de la cinéaste, et qui serait devenue adulte.

Ces premiers instants du film marquent aussi le caractère d’un personnage qui ne se démonte pas face à l’adversité. En insufflant à la pellicule énormément de mouvement dans cette phase d’introduction, on affirme un protagoniste qui fait face à l’adversité. Maryam avance à pas sûrs dans l’hôpital, se rend à l’aéroport, puis dans un immeuble administratif et regagne enfin sa maison puis repart… Ça n’a l’air de rien, on s’en rend à peine compte si on n’y prête pas attention, mais avec cette grammaire filmique, la réalisatrice affirme indéniablement une héroïne qui ne lâchera pas le morceau pendant tout le film.

« Grosse fatigue à gauche »

Au coeur de l’oeuvre, cette lutte d’une héroïne pour obtenir la place qui lui revient dans une société qui opprime les femmes. C’est indéniablement le sujet principal du long-métrage et Haifaa Al-Mansour ne le dissimule pas. On devine que tourner un tel plaidoyer dans un pays assez rétrograde sur la question a dû être une véritable épreuve. Toutefois, Maryam refuse d’être réduite au simple rôle de femme face aux hommes dans le film. Pour elle, son genre n’est pas important. Seule sa cause compte: le goudronnage de cette route boueuse. C’est probablement ce que le film réussit de mieux: transcender une lutte simpliste des sexes pour démontrer que le bien commun est plus important et que ce combat de femme complètement légitime est contrarié par des mentalités qui doivent évoluer.

Pour appuyer sur l’émancipation de plus en plus probante de Myriam, Haifaa Al-Mansour va imposer un symbole fort: le voile. Sans jamais rentrer clairement dans une critique de la religion mais en l’évoquant subtilement à travers ce vêtement, la cinéaste trouve là une superbe idée. D’abord vêtue d’un voile intégral au début de la campagne politique, Myriam va progressivement découvrir son visage. Une belle façon d’utiliser des codes sociétaux comme élément de narration.

Le courage de Myriam ne sort pas de nulle part, Haifaa Al-Mansour donne du fond à son histoire en exposant une famille baignée dans l’art (ici la musique). En parallèle du parcours de l’héroïne prend également place le périple de son père musicien parti en tournée avec son orchestre. La cinéaste impose non seulement l’idée que la culture peut faire évoluer les mentalités mais elle expose également la menace qui pèse sur les artistes. On devine au fur et à mesure que les mentalités les plus fermées ont déjà frappé la famille alors que l’absence de la mère est de plus en plus expliqué. Ces deux portions du film pourtant assez distincte se répondent parfaitement et donnent une dimension supplémentaire à cette histoire déjà poignante.

Cette disparition de la mère permet également de délimiter les mentalités différentes du foyer. La sœur la plus âgée de Myriam l’aide dans sa campagne, alors que la plus jeune se désintéresse de cette démarche lorsqu’elle n’y oppose pas la religion. En soustrayant la figure maternelle, on démontre que l’endoctrinement sociétal se fait intense dans un pays où les mentalités les plus obtuses sont souvent celles qui ont le plus de place pour s’exprimer. La psyché de cette petite fille fait presque froid dans le dos tellement elle semble courante.

Et pourtant, “The Perfect Candidate” est un film optimiste qui porte un message simple et efficace: le courage d’une seule personne suffit parfois à apporter des changements indispensables. Certes, Myriam est d’une bravoure presque surhumaine mais le film invite avec énormément de pertinence à réfléchir nous aussi , les occidentaux, à la place réservée aux femmes chez nous. Que ce soit en Arabie Saoudite ou en France, voile ou non, une réflexion capitale doit prendre place d’urgence pour qu’enfin les mentalités évoluent. On vous le répète, un ticket de cinéma est parfois plus qu’un simple bout de papier.

Courageux et pertinent, “The Perfect Candidate” transcende le simple cadre de “film” et impose avec beaucoup de tact un débat salutaire.

Nicolas Marquis

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