(1958)
Réalisé par: Louis Malle
Avec: Jeanne Moreau, Maurice Ronet, Georges Poujouly
Chaque samedi, Les Réfracteurs laissent le choix du film au sympathique générateur de conseils culturels “tastr.us”, en prenant la première recommandation proposée, sans limite d’époque. Cette semaine, Tastr a sélectionné pour nous “Ascenseur pour l’échafaud” de Louis Malle.
En 1958, le cinéaste Louis Malle qui allait devenir par la suite l’un des plus grands représentants de près d’un demi-siècle de cinéma français est encore relativement inconnu. Avec deux courts métrages à son palmarès, le metteur en scène est surtout remarqué pour sa participation au “Monde du silence” de Cousteau dont il est le co-réalisateur. Adoubé par le marin au bonnet rouge pour son savoir-faire technique, Louis Malle saute enfin le pas de la fiction avec “Ascenseur pour l’échafaud”. Un film unique qui reste aujourd’hui une expérience singulière tant le créateur aura su faire planer sur son œuvre une ambiance marquée et un parti pris artistique fort, transformant parfois son récit pourtant extraordinaire en véritable métaphore de la vie courante. Sa proposition est simple et efficace: après avoir minutieusement préparé l’assassinat de son patron qu’il déguise habillement en suicide, Julien (Maurice Ronet) se retrouve coincé dans l’ascenseur du bureau, sûr d’être démasqué s’il est découvert. Pendant ce temps, Florence (Jeanne Moreau), la femme dont il est épris, se lamente de son retour, errant de café en café à la recherche de son amant disparu.
Si Julien et Florence sont installés d’entrée, assumant les rôles principaux, Louis Malle va également rapidement tracer un troisième destin, celui d’un couple de jeunes amoureux qui dérobe la voiture du personnage de Maurice Ronet pour vivre une escapade échevelée. Le cinéaste ne multiplie pas les axes narratifs par hasard, il cherche de la complexité et du raffinement dans son propos. Ces trois parcours différents ont pour point commun les entraves qui les enserrent. Julien est prisonnier physiquement, Florence affectivement, nos deux bandits du dimanche le sont socialement, comme victimes de leurs origines. Louis Malle met le spectateur sous pression dans “Ascenseur pour l’échafaud”, le contraint à voir.
« Deuxième étage, rayon lingerie. »
Le metteur en scène sait s’appuyer sur un rendu graphique impeccable, émulant par moment les films noirs américains contemporains de son œuvre. C’est tout un jeu d’ombre et de lumières qui s’instaure dans des contrastes marqués laissant peu de place au gris. On s’émerveille de ces silhouettes méconnaissables cerclées de lumières qui émaillent la pellicule. Louis Malle va également occuper la sphère sonore avec pertinence: on pense à cette récurrence de bruit de tonnerre parfois plus proche de l’explosion qui appuie le fatalisme du long métrage, mais bien sûr également à la bande originale de l’immortel Miles Davis, délicieusement inscrite dans le jazz de la grande époque.
De quoi laisser planer sur “Ascenseur pour l’échafaud” une ambiance unique qui affirme le talent d’un jeune réalisateur. Le résultat de son travail est noir et vaporeux mais empreint dans le même temps d’un poids naturel que porte le scénario dans lequel on s’enlise délicieusement. “Ascenseur pour l’échafaud” ne force pas sa contenance, il la trouve de manière presque logique dans son déroulé invitant à l’errance morale et émotionnelle. Une poésie également portée par les dialogues offerts à Jeanne Moreau, mélange de flegme et d’onirisme pour ce personnage spectral que la nuit dans la ville engloutit lentement.
Vivre “Ascenseur pour l’échafaud” au premier degré uniquement serait se priver de toute la profondeur que Louis Malle dicte à son film. C’est un conte moral qu’impose le schéma narratif du film. Un simple polar se contente d’une résolution préétablie et d’un certain suspens, “Ascenseur pour l’échafaud” préfère lui trouver de la substance dans le parcours de ses anti-héros. C’est là que l’œuvre bouillonne de grandeur, dans son message philosophique et dans la photographie sociale d’une France qui se replie sur elle-même.
Toute la dimension sociologique du film apparaît évidente dans la vision de la justice que propose le long métrage. Pendant une grande majeure partie du temps, c’est davantage l’idée de karma qui tiraille les personnage, plutôt que la crainte des hommes. Certes, Lino Ventura fera une apparition en inspecteur et assumera une partie de la résolution de l’intrigue, mais pas avant que Louis Malle n’ait égratigné l’image d’une police au combien perfectible.
Classique du cinéma français de son époque, “Ascenseur pour l’échafaud” cache derrière son air de polar facile un récit à l’épaisseur impressionnante.