Médecin de nuit

2021

Réalisé par: Elie Wajeman

Avec: Vincent Macaigne, Pio Marmaï, Sara Giraudeau

Alors que les salles de cinéma marquaient leur réouverture après les différentes mesures liées à la crise sanitaire, “Médecin de nuit” fut l’une des premières bande-annonces à enfin s’afficher sur l’écran, pour le plus grand plaisir des spectateurs enfin aptes à regagner leurs chers fauteuils rouges. Quelques images qui affirmaient une esthétique sombre, des dialogues qui esquissaient les contours d’un récit dur et noir, et la promesse d’une plongée en totale immersion dans le quotidien d’un médecin de nuit avaient suffi à piquer notre curiosité. Malheureusement, le bouchon tant attendu et redouté de l’après fermeture des exploitations cinématographiques n’aura pas été tendre pour ces films plus humbles que les productions à gros budgets qui se bousculaient au portillon. L’envie de se pencher dessus et de poser quelques mots sur un film français qui semblait tenter des choses nouvelles était présente, mais c’est finalement à l’occasion de sa sortie en format physique du côté de Diaphana que l’occasion s’est enfin présentée.

Loin de se contenter d’une énième chronique d’un quotidien désabusé, même si cet axe est aussi présent dans le long métrage, c’est une grammaire proche du polar que propose “Médecin de nuit”, à ceci prêt que les forces de l’ordre seraient ici remplacées par un docteur sillonnant les rues de la capitale dans la pénombre nocturne. Cet homme, c’est Mickaël, interprété par Vincent Macaigne, également impliqué dans le scénario que nous offre le réalisateur Elie Wajeman. Un homme en perdition, partagé émotionnellement entre sa femme et sa maîtresse, mais surtout prisonnier d’un traffic de Subutex, un médicament de substitution aux opiacés, qui le contraint à faire de fausses ordonnances pour alimenter ce triste commerce parallèle. Un délit que Mickaël ne commet pas pour lui, mais pour son cousin Dimitri, campé par Pio Marmaï, esclave de ses commanditaires et criblé de dettes. L’espace d’une nuit, Elie Wajeman va nous proposer de suivre ce médecin qui tente de s’extraire du guêpier dans lequel il s’est fourré.

Avant même de plonger dans tout ce que Mickaël fait d’illégal, le réalisateur de “Médecin de nuit” pose avant tout ce personnage à travers la pratique de sa profession. Le héros de ce long métrage est installé dans un rapport très altruiste à son métier. Ce docteur, c’est un peu l’ange gardien des junkies, comme l’énonce parfaitement le film dès son entame, l’un des seuls à tendre la main aux personnes que la dépendance a brisées. Dans une des toutes premières scènes, Elie Wajeman nous propose même un échange tendu entre Mickaël et une responsable de l’assurance maladie soucieuse d’un nombre effarant d’ordonnances de Subutex que produit notre protagoniste principal. Une scène clé pour la compréhension de l’œuvre: le héros du film sera perpétuellement tiraillé entre l’aide aux malades et le trafic duquel il est esclave.

La mentalité de Mickaël se fait donc complexe, et “Médecin de nuit” a tout du film noir où la moralité n’est pas tranchée. Le bien ou le mal absolu ne s’expriment pas dans le film, on joue ici sur un registre plus subtil, un entre-deux plein de justesse. Un sentiment conforté par la performance d’un Vincent Macaigne bien plus convaincant dans ce rôle que dans les comédies auxquelles il est d’ordinaire habitué. L’acteur réussit à nous faire adhérer à ce protagoniste pourtant difficile à  adopter et le pari de l’identification est réussi pour un long métrage tout de même relativement austère.

C’est par cette installation qu’on comprend mieux la couche principale du récit, celle où Mickaël bascule dans l’illégalité. Là encore, il n’agit que par pure générosité. Ce personnage ne tire pas profit, ou presque, de ses actions, il agit par dévouement pour son cousin pris au piège de ses erreurs. Même lorsque le personnage de Vincent Macaigne produit de fausses ordonnances, il n’oublie pas son serment d’Hippocrate, comme en atteste une scène où il ausculte une droguée par pur professionnalisme. Pour cet homme, l’enfer est définitivement pavé de bonnes intentions et sa plongée dans le commerce de la drogue n’est pas le fruit d’ambitions personnelles. Il agit par altruisme mais les prédateurs autour de lui sont prêts à en profiter bassement. Mickaël reste médecin avant tout, et c’est une volonté scénaristique très claire, avec pour preuve les visites bienveillantes qu’il effectue en parallèle de ses activités illicites et qui ponctuent le film.

Le cadre qui évolue autour de lui appuie la dureté et surtout la noirceur inhérentes au film. En perpétuel mouvement, on traverse un Paris loin des fantasmes touristiques. La capitale est restituée dans ce qu’elle a de plus sale, une ville de caniveaux et de trottoirs crades, peuplée d’oiseaux de nuit souvent en perdition. Outre l’obscurité qui souligne l’impasse morale de son héros, Elie Wajeman semble vouloir jouer sur la récurrence de bleu, omniprésente. Que ce soit le gyrophare de la voiture de Mickaël, la teinte de la fête d’anniversaire de Dimitri, ou les éclairages des immeubles, le réalisateur convoque un blues bien particulier lié à cette couleur.

Elie Wajeman brille aussi par la symbolique qu’il offre à son œuvre. Des instants brefs mais efficaces. Est-ce un hasard si au début du film Mickaël range son lecteur de carte vitale dans sa boîte à gants, avant d’y ranger une arme plus tard, au moment où il craint pour sa vie? Bien sûr que non, le réalisateur s’ attarde suffisamment pour qu’on comprenne le parallèle qu’il tisse entre ces deux moments. Dans la même veine, les personnages féminins semblent représenter des idéaux bien différents: la femme de Mickaël pour la possibilité d’une vie rangée, sa maîtresse pour la tentation du péché intimement liée à ses méfaits, où plus discrètement une collègue médecin qui s’occupe des SDF pour montrer l’envie de Mickaël d’agir sans attendre de récompense. Sous couvert de thriller, Elie Wajeman théorise en fait davantage la mentalité du médecin.

Pour peu qu’on considère Paris voire la voiture du protagoniste principal comme un décor unique, les trois unités inhérentes au registre de la tragédie sont rassemblées: la capitale pour le lieu, cette nuit unique pour le temps, et ce côté désabusé pour le ton. Mickaël est prisonnier de son destin mais construit en même temps sa propre prison. Si le film le glorifie un peu moralement, il n’hésite pas à contrebalancer par une forme de détresse physique qui se lit parfaitement sur le visage de Vincent Macaigne pour appuyer le calvaire profond que traverse ce héros peu ordinaire.

« Médecin de nuit » est disponible à la vente chez Diaphana

Grâce à sa patte sombre et sans illusion sur le destin de son personnage principal, “Médecin de nuit” se distingue du reste des productions actuelles grâce à sa maîtrise technique et scénaristique

Nicolas Marquis

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