Slalom

2021

Réalisé par: Charlène Favier

Avec: Noée Abita, Jérémie Renier, Marie Denarnaud

Une lente remise en question des valeurs de notre société semble s’installer alors que les violences, physiques ou morales, faites aux femmes sont bien plus largement dénoncées qu’il y a encore quelques années. Le combat est loin d’être gagné et on voit dans l’ombre ceux qu’un retour au silence réjouirait. La lutte par la parole pour mettre en évidence les douleurs invisibles est le nerf de cette guerre collective. Peut-être encore plus mis en avant que d’autres disciplines, le monde du cinéma et du sport sont hantés par de multiples polémiques qu’on aurait ignorées il y a encore peu de temps. Parmi les exemples récents, le documentaire édifiant de Marie Portolano et Guillaume Priou, “Je ne suis pas une salope, je suis une journaliste” est encore frais dans toutes les têtes et atteste du chemin qu’il reste à parcourir. C’est sur grand écran que les performances physiques et artistiques vont encore une fois se réunir avec cette fois une fiction: “Slalom” de Charlène Favier.

On plonge ici dans le monde du ski en suivant le destin de Lyz (Noée Abita), une adolescente prodige du slalom, et la relation toxique qui l’unit à son entraîneur Fred (Jérémie Renier), un arriviste prêt à toutes les bassesses. De compétitions en compétitions, la pression physique et psychologique que subit Lyz va se faire de plus en plus invivable alors que son coach se révèle être un parfait pervers obsessionnel.

Avant même de venir disséquer point par point les forces et faiblesses de l’œuvre de Charlène Favier, concédons-lui volontiers l’importance de son message. La mission que tente de relever “Slalom” est vertueuse et capitale dans un monde encore en plein questionnement sur les violences faites aux femmes mais aussi sur le stress infligé aux jeunes sportifs en général. Scénaristiquement, le film avance même quelques idées brillantes: le vide affectif laissé par les parents absents de Lyz et dans lequel s’engouffre son mentor avec vice semble être un axe intelligent. Dans le même esprit, la négation du corps et de son estime personnel au profit de la performance trouve écho dans notre triste réalité. Le sujet louable étant établi, il est temps de constater avec une légère pointe d’amertume que la plupart des faiblesses de “Slalom” découle d’une envie de trop bien faire qui va parasiter le fond.

« La montagne, ça vous gagne »

En cherchant à saisir la moindre nuance, parfois au détriment de l’expérience du spectateur, Charlène Favier s’égare un peu. Malgré la durée restreinte du film, son script relativement convenu semble traîner en longueur. On comprend le dilemme de la réalisatrice face à une tâche titanesque, mais on est sur la réserve concernant le rythme global parfois chaotique. “Slalom” perd finalement en authenticité lorsqu’il tente de couvrir le spectre complet de la perversion. L’échelle intime fonctionne mieux que les grands enjeux dans ce douloureux périple.

C’est presque en lien direct avec ces petites faiblesses d’écriture que “Slalom” va accuser le coup sur un autre point: ses dialogues. Parfois trop écrits au détriment de la subtilité, parfois trop absents, jamais le long métrage ne semble trouver l’équilibre juste dans ses tirades. Un défaut omniprésent qui va tirer vers le bas les efforts des acteurs. Noée Abita ne démérite jamais du haut de son jeune âge et il n’y a rien de honteux dans la proposition de Jérémie Renier non plus mais la lourdeur verbale leur impose une forme de surjeu agaçante.

La réalisation de Charlène Favier va elle aussi se faire le témoin du léger manque de cadre qui aurait pu remettre “Slalom” sur la bonne voie. Par exemple, on ne sait pas si c’est lié au défi technique de tourner à la montagne ou le fruit d’une véritable envie d’émuler une certaine lumière, toujours est-il que “Slalom” apparaît parfois presque aveuglant. Une tendance latente aux teintes claires désagréables, qui n’a pas de vrai lien avec le fond et qui se fait trop grossière, tout comme l’avalanche de facteurs de flare.

Mais attention cher lecteur, on ne met pas ici en accusation certaines séquences presque plus métaphoriques où Charlène Favier va jouer de saturation de couleurs vives bien plus intelligemment. Des scènes rouge ou bleu qui affirment le style de la metteuse en scène avec ampleur, proposant une esthétique différente qui est elle une vraie vision d’auteur. On admet également de manière très digeste toute la mécanique d’immersion de Charlène Favier: des plans très rapprochés sur Lyz, peu de coupure dans les scènes chocs, un peu de hors-champ…La réalisatrice maîtrise cet aspect de son histoire.

Tout aussi convaincant est le sens exquis des lignes qui s’affichent à l’image. Charlène Favier oppose les paysages de montagnes et la géométrie artificielle des bâtiments, tout comme le développement naturel du corps est sacrifié sur l’autel de la performance dans l’œuvre. C’est joliment amené et probablement ce qui cimente le plus efficacement l’identité du film. C’est sur le même ton que “Slalom” va dégainer quelques scènes à ski à la mise en images stupéfiante, impressionnante de maturité pour une jeune cinéaste. Parfaitement calée dessus, la bande son du film achève de nous faire voyager malgré les errances du long métrage.

Charlène Favier possède du style et des idées mais on attendra quelques années encore pour peut-être la voir acquérir la maturité qui lui manque parfois. Une proposition tout à fait intéressante malgré tout.

Nicolas Marquis

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