Respect

2021

Réalisé par: Liesl Tommy

Avec: Jennifer Hudson, Forest Whitaker, Marlon Wayans

L’annonce d’un biopic sur une personnalité qu’on admire fait souvent naître autant d’inquiétudes que d’espoirs. Au-delà du plaisir de voir une histoire qui nous touche racontée au cinéma, l’uniformisation rigoureuse que connaît le genre angoisse. Coincé entre des codes stricts dictés par le marché, une morale souvent éculée et un schéma narratif recyclé, mettre en scène le destin d’une star peut rapidement virer au cadeau empoisonné pour de jeunes cinéastes. Alors que sort aujourd’hui “Respect”, le biopic de Liesl Tommy consacré à la grande Aretha Franklin, le doute était de mise: on sentait déjà aux vues des premières images le fantôme du film karaoké en vogue en ce moment et synonyme d’une prise de risque minimal. Ha, qu’on aurait aimé se tromper pour parler de la reine de la Soul, et pourtant…

Le premier constat sera froid et tranchant, mais c’est sans doute celui qui collera irrémédiablement aux basques de “Respect”: alors qu’on évoque la Soul, le film n’a aucune âme. Sans cesse la mise en scène pataude de Liesl Tommy tire les élans mélodramatiques vers le bas, alourdissant ses effets de manches ridicules, à l’image de cette gestion de la lumière désastreuse. “Respect” est un film robotique, mathématique et calibré, et ce n’est pas la reconstitution factice de l’époque qui relèvera le niveau. Sur fond de décors ratés défilent des figurants exagérément vêtu, comme si le département Costume avait voulu laisser une (mauvaise) carte de visite.

Sans aucune surprise, le long métrage ne se distinguera finalement que dans les numéros musicaux, plus riches en idées. Certes la réalisation est peu entreprenante, vire parfois au clip et à la débauche de tubes attendus, mais elle tente au moins quelque chose. Pour souligner la différence de soin entre les scènes dramatiques et les chansons, on pourrait aussi mentionner le son, beaucoup mieux travaillé dans les moments mélodieux. Alors oui, c’est un peu normal quand on y pense pour un film sur le monde de la musique, mais de là à ne rien avancer dans le traitement d’une des plus grandes voix au monde dans son quotidien, on soupire lourdement.

« Aretha et les Musclés. »

C’est d’autant plus dommage que l’une des rares bonnes idées de l’œuvre reste sa façon de définir la musique comme un lien supplémentaire, un langage qui permet de formuler des sentiments qu’on ose avouer à ses proches. Au centre de l’intrigue, il y a la volonté d’Aretha Franklin de trouver sa propre voix, et il semble que son chemin soit fait de choix personnels mais aussi artistiques forts. Celà on l’assimile plutôt bien, mais l’idée n’est pas assez tissée.

Liesl Tommy préfère plutôt, et c’est un énorme cliché des biopics, se reposer presque exclusivement sur la performance de son casting. Le poids de la diva pèse lourd sur les épaules de Jennifer Hudson, mais on retiendra de “Respect” au moins sa performance honorable: si elle ne correspond pas nécessairement à la représentation qu’on se faisait initialement d’Aretha Franklin, la jeune actrice réussit à imposer son jeu. On est malheureusement beaucoup plus mesuré en ce qui concerne Forest Whitaker, égal à lui même avec tous les ratés émotionnels que cela comporte, mais surtout en ce qui concerne Marlon Wayans. On sent que “Respect” tente de jouer la carte du “contre-emploi”, encore que ce ne soit pas une première pour l’acteur, mais cela ne fonctionne pas, sa performance paraît incohérente et isolée.

Ces irrégularités chez les comédiens parasitent ce qui devrait être le message premier du film: la quête d’émancipation de cette jeune chanteuse, prise dans les griffes d’hommes envahissants. Régulièrement on tutoie cette idée, on la frôle avant qu’un fois de plus le récit nous ramène à des considérations moins intéressantes. “Respect” ne maîtrise pas le tempo, un comble là aussi.

Mais sortie de toutes ces appréciations propres au biopic, une fois cette barrière franchie, que reste-t-il à “Respect”? Au mieux, du vide, au pire, un message politique étrange. On ne saurait dire si le problème vient de la vie de la chanteuse mal restituée, de l’élaboration du scénario, ou de la mise en image, mais on a le curieux sentiment que dans le long métrage, les hommes noirs sont despotiques tandis que surnage un autre protagoniste blanc complètement niais de bonté dans son écriture. Quand en plus le film se permet de passer a une vitesse folle sur l’engagement politique d’Aretha Franklin, un pilier de son existence, on ne peut que constater que le film a complètement raté le bon chemin narratif. On ne lui fera pas de procès d’intention, on constatera juste sa maladresse. Cerise sur le gâteau, le message religieux pompeux qui couronne une séance calvaire.

Une femme unique mérite un film unique: “Respect” est tout sauf cela. Pur produit générique de studio peu intéressé, le film ne mérite pas votre attention, même pour les fans d’Aretha.

Nicolas Marquis

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