(Gisaengchung)
2019
de: Bong Joon Ho
avec: Kang-ho Song, Sun-kyun Lee, Yeo-jeong Jo
Chaque samedi, Les Réfracteurs laissent le choix du film au sympathique générateur de conseils culturels “tastr.us”, en prenant la première recommandation proposée, sans limite d’époque. Cette semaine, Tastr a sélectionné pour nous “Parasite” de Bong Joon Ho.
Il fallait bien qu’il tombe un jour, et c’est presque symbolique que ça arrive maintenant. “Parasite” c’est l’un des films qui nous a mis le pied à l’étrier pour démarrer notre petit blog. Alors que le site amorce un nouveau virage en coulisses qu’on détaillera le moment voulu, pour vous offrir une expérience plus complète et plus agréable, revoilà que le film de Bong Joon Ho pointe le bout de son nez à la faveur d’un « Tastr Time » (comme quoi l’algorithme proposé par les copains de tastr.us est diablement efficace). Ce film, on l’aime tellement profondément qu’on l’abordera sûrement sous une autre forme, plus en profondeur, quand le temps sera venu. Mais en attendant on se plie à l’exercice hebdomadaire du « Tastr Time » et on critique “Parasite” pour faire saliver ceux qui l’auraient manqué.
Ce film, c’est l’opposition de deux familles: les Kim qui vivent dans la misère totale à l’intérieur d’un appartement d’entresol miteux, et les particulièrement fortunés Park dans leur demeure luxueuse. Progressivement, et en ayant recours à toutes sortes de manipulations et de mensonges, les Kim vont évincer les employés de maison des Park pour s’immiscer dans la vie de cette famille riche et prétentieuse.
En véritable caméléon de la réalisation, Bong Joon Ho change une fois de plus de registre avec brio. Lui qui a su avec talent verser dans la science-fiction, le polar ou l’horreur, impose ici un thriller haletant au rythme soutenu et où chaque rebondissement intensifie le suspens. Cette façon de se révolutionner à chaque film impose le respect: il adapte son montage et son cadrage pour magnifier chacun de ces genres et “Parasite” est peut-être son film le plus abouti en terme de réalisation pure. Ce cinéaste qui n’avait pas hésité à envoyer chier Harvey Weinstein à l’époque du “Transperceneige”, avant même les affaires pour lesquelles le producteur a été condamné et quitte à interdire le long-métrage de sortie en salle, n’a rien perdu de son esprit de rébellion.
Pour l’aider, un casting fantastique où chacun occupe sa place sans empiéter sur l’autre. Leur heure de gloire, ils l’ont tous à un moment donné et cette performance chorale fonctionne diablement. En tête d’affiche, on retrouve le frère d’arme de Bong Joon Ho, celui qui aura été de presque tous ses films, Song Kang Ho, qui incarne le père de la famille Kim. Leader certes, mais à aucun moment il n’écrase le long-métrage de sa présence. Bien au contraire, il tire les autres vers le haut et il sait se faire plus petit pour laisser s’exprimer chacun des acteurs. Sa performance est telle que même dans son timbre de voix, on sent une véritable recherche d’authenticité. Alors les gars, déconnez pas, “Parasite” c’est à voir en VOST!
« Ben voilà! J’ai envie d’une pizza maintenant. »
Mais dans le film, tous les protagonistes ne sont pas humains. Les maisons sont presque elles aussi des personnages à part entière. L’entresol miteux des Kim mais surtout en opposition la maison luxueuse des Park. Une habitation aux traits droits et secs, aussi anguleuse que luxueuse: à l’instar des acteurs, elle ne livre pas immédiatement tous ses secrets et reste en perpétuelle évolution au fil de l’histoire. Une maîtrise totale du décor que Bong Joon-Ho magnifie avec ses jeux de perspective: bien souvent, une ligne sèche du décor, en arrière plan, va appuyer la séparation entre Kim et Park.
Car à la vérité, si “Parasite” est un excellent film d’arnaque, c’est avant tout un film fortement politique: une lutte des classes moderne, sous une forme ludique et rythmée. L’opposition entre ces deux familles, c’est une reconstitution miniature de la société moderne, dont la caméra de Bong Joon Ho se fait la narratrice.
La barrière sociale et le mépris des classes supérieures à vomir d’inhumanité sont mises à nu dans le long-métrage, et c’est presque le procès des puissants qu’étale “Parasite”. Tout dans le film est métaphorique: cette pierre qu’offre un ami au fils de la famille Kim en début de film par exemple, censée apporter la fortune mais qui devient un vrai boulet. Ou encore la scène de l’inondation quand les mensonges sont sur le point d’être découverts. Le scénario de “Parasite” tutoie la perfection en permanence grâce à une justesse de l’écriture que la photo ne fait qu’amplifier.
De la même manière, l’amour familial pourrait être analysé: les deux familles chérissent leurs enfants, mais les Kim sont sincères dans leurs sentiments alors que les Park le font d’une manière matérialiste et impersonnelle, presque aseptisée. Un jugement des valeurs que Bong Joon Ho maîtrise d’un bout à l’autre, sans aucune fausse note.
“Parasite”, le film d’une génération? Pour l’instant, on manque de recul pour l’affirmer mais sa perfection artistique et sa reconnaissance internationale lui confère déjà un statut à part. Mais plus que ça, c’est son message qu’on veut inscrire au fond de notre être: venus du sous sol, les parasites que nous sommes viendront un jour réclamer justice à force d’humiliation.