2021
Réalisé par: Quentin Dupieux
Avec: Grégoire Ludig, David Marsais, Adèle Exarchopoulos
Pour cette réouverture tant attendue des salles, le septième art est à la fête. Vous l’avez compris si vous suivez notre site ou l’actu ciné en général, il y en a pour tous et la qualité est au rendez-vous. Seul semble manquer à l’appel un bon gros blockbuster américain qui tâche et qui attirerait les fanatiques de grand spectacle. Mais cette absence n’est-elle finalement pas une aubaine? Tous ceux à qui le cinéma a manqué se ruent dans les salles et avec son étiquette “comédie française”, “Mandibules” pourrait presque jouer les têtes d’affiches. Une véritable opportunité pour le cinéaste Quentin Dupieux qu’on ne présente plus mais dont le public fidèle reste néanmoins restreint. A l’occasion de la fin du confinement et en signant les deux comparses du Palmashow, le réalisateur impose son long métrage. Un coup de maître tant “Mandibules” convoque à la fois tout ce qui fait l’âme de l’art de Dupieux mais s’ouvre aussi vers une cible plus large. C’est peut-être l’un des sommets de la carrière du génialement barré créateur français qu’on réfracte aujourd’hui pour vous.
Un simple coup d’œil sur le pitch et vous comprendrez vite que vous mettez les pieds dans un univers totalement déjanté propre au cinéaste: Manu et Jean-Gab (Grégoire Ludig et David Marsais AKA le Palmashow donc) sont deux amis, fondamentalement niais et loosers. Par un concours de circonstances dont Dupieux a le secret, les héros de cette histoire vont découvrir dans le coffre d’une voiture une mouche géante qu’ils décident d’apprivoiser dans l’espoir de se faire de l’argent. Un défi qui va les entraîner dans une aventure rocambolesque haute en couleurs.
Le style Dupieux s’exprime d’abord dans l’image. Teintes pastelles, presque délavées, viennent faire planer sur “Mandibules” une ambiance délicieusement kitsch propre au réalisateur. Quentin Dupieux va penser cette démarche jusque dans les costumes et accessoires qui appuient une ambiance proche de la rêverie. On n’est plus tout à fait dans le monde réel et pourtant toujours ancré dans la réalité. Un entre-deux dans lequel peut se dérouler un récit tout aussi loufoque.
L’autre marque de fabrique du réalisateur réside dans sa science presque mathématique du rire. Dupieux est un maître du rythme et ses dialogues se font délicieusement tranchants, voués à devenir cultes dans un futur très proche. Une méthodologie que vient totalement adopter un casting rompu à l’exercice. Les rôles qui composent le scénario sont typiques du cinéaste fabuleusement dément et décalé et le rapport artistique entre Dupieux et le Palmashow apparaît même fusionnel. Le duo se fond à la vision du metteur en scène qui n’oublie pas de se nourrir de l’humour des deux comiques. En résulte une identité relativement unique, fruit d’un respect mutuel et d’une implication irréprochable.
« Ben ouais, on a dit une mouche géante quoi. »
Ces deux branleurs au grand cœur, Quentin Dupieux va les opposer à une vision de la petite bourgeoisie quelque peu acerbe. On n’oserait sous aucun prétexte qualifier “Mandibules” de film politique, ce serait prétentieux, mais une dualité existe. D’un côté le Palmashow, sans le sou; en face, une jeunesse dorée dont Adèle Exarchopoulos est l’exemple le plus criant (sic). Les premiers imposent des silences gênants, l’autre ne sait s’exprimer qu’en hurlant. Les deux compères vivent dans le mensonge permanent, elle est lancée dans une quête de vérité totalement obsessionnelle et démesurée. Le choc des deux mondes est présent dans le long métrage, et la quête de l’argent résolument idiote de Manu et Jean-Gab ne fait qu’appuyer cette idée.
On retrouve également avec “Mandibules” le style scénaristique très épuré de Quentin Dupieux: l’artiste est un chercheur qui tente de théoriser le rire dans ce qu’il a de plus fondamental, en faisant fi du superflu. On est ici en présence d’une œuvre qui, comme la plupart des films du cinéaste, fonce vers l’essentiel pour en retenir le nectar le plus limpide. La mouche géante qu’on pourrait imaginer au centre de l’histoire n’est jamais qu’un accessoire, un pivot autour duquel peut évoluer le film. Une volonté d’aller droit au but qui explique la durée restreinte de “Mandibules”, pourtant totalement justifiée. Dupieux a besoin d’être rapide, de livrer un coup de poing violent et sec, dans un registre inimitable propre à l’auteur. Impossible de ne pas penser aux autres pellicules du créateur, ne serait-ce que le sous-estimé “Steak”, lorsque Manu et Jean-Gab échangent un check qu’on devrait bientôt retrouver un peu partout.
Mais “Mandibules” constitue également un tournant dans la carrière du réalisateur, ou tout du moins l’apogée d’une démarche entreprise depuis quelques films: celle d’être plus universel. Là où “Rubber’ ou même “Wrong Cop” pouvaient sembler trop démentiels pour être cohérents, Dupieux ne perd jamais ici le fil narratif de sa proposition pour construire une véritable histoire assortie de sa morale un peu facile mais qui s’épanouit pleinement dans le contexte du film. C’est parce que “Mandibules” est fou qu’il est hypnotisant et on se réjouit de voir Quentin Dupieux fédérer un plus large public avec son dernier bijou aux reflets d’éclats de rire fins.
Typique de l’univers incroyablement déglingué de Dupieux, “Mandibules” reste un de ses films les plus digestes et universels, et une occasion en or de retourner au cinéma.
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