L’ombre de Staline

(Mr. Jones)

2019

de: Agnieszka Holland

avec: James NortonVanessa KirbyPeter Sarsgaard

Le cinéma pour poser un diagnostic sur l’Histoire afin de mieux identifier les blessures, on l’a déjà vu sur notre site. Plus fort, le cinéma pour guérir les plaies encore ouvertes des pires moments de l’humanité, ça aussi nous l’avons déjà évoqué. Mais qu’en est-il du cinéma pour lever les tabous sur les heures les plus sombres? Cette volonté de dénoncer, même après coup, l’omerta des plus puissants au détriment de la population. Des films chocs, sans compromis, qui mettent en lumière l’atrocité, eux aussi ils existent. Exemple aujourd’hui avec “L’ombre de Staline”, fraîchement sorti dans les salles obscures.

Cette histoire, c’est celle de Gareth Jones (James Norton), un brillant journaliste et conseiller du gouvernement britannique dans les années 30. Intrigué par la forme étonnante de l’économie russe comparée aux troubles mondiaux, il va user de ses relations pour découvrir ce qui se cache derrière la fortune de l’URSS. Ce qu’il va découvrir sur place dépasse totalement le supportable et il va tenter d’alerter le monde concernant l’Holodomor, les famines orchestrées par Staline.

Cette quête de vérité d’un homme seul face à l’Histoire, elle nous tient en haleine pendant tout le film. En affirmant sur la pellicule mais aussi en interview avoir cherché à trouver de l’écho dans notre présent, la cinéaste Agnieszka Holland réussit son pari. On vit le périple de Gareth Jones comme de véritables journalistes, avec toujours cette volonté de restituer l’horreur de manière brute, sans détour.

Bien vu ainsi le découpage du film. Notre héros est d’abord pris dans le jeu de dupe qui s’organise à Moscou, là où les soi-disant correspondants baissent leur froc pour un peu de vodka. “L’ombre de Staline” n’épargne personne, ni les bourreaux, ni les complices. Puis vient le moment des découvertes, toutes des symboles forts, marquées par un silence pesant. Cette découverte, en étant inscrite entre deux séquences plus classiques, c’est une trouvaille très intéressante.

Ombre illu 1

« Niveau vacances pourries, on est pas mal là. »

Et il en est de même pour l’utilisation que fait le film de George Orwell, l’écrivain. En mettant en parallèle le travail de Gareth Jones et celui de l’auteur fortement marqué par le régime russe alors qu’il écrit “La ferme aux animaux”, le long-métrage trouve du rebond, du rythme.

Malheureusement, le film va traîner quelques casseroles pendant toute la durée de la séance. En premier lieu, la performance de James Norton qui nous a laissé perplexe: l’acteur passe une bonne moitié du film à cabotiner et ça devient rapidement irritant. Il y a là une démarche voulue, celle de coller au plus près avec la psyché du personnage originel, mais sur la pellicule cela devient assez rapidement agaçant.

Mais le principal écueil, à notre humble avis, vient principalement de la réalisation qui marque son esprit de cinéma-vérité avec tout un tas d’artifices agaçants. Le cadrage très serré, la caméra qui tremble et autre pantalonnade du genre nous ont complètement laissés de marbre, voire même gêner la lisibilité.

Passe encore ce procédé dans des phases de transition, alors que le train qui conduit Gareth vers sa destination avance inexorablement, monstre de métal au milieu de la neige. Il nous est apparu peu judicieux d’étendre cette méthodologie jusque dans les scènes plus importantes: un peu hypocrite et surtout très superflu.

Mais le thème de ce film suffirait presque à en faire un moment important. Cette soif irraisonnée d’argent chez les classes les plus aisées alors qu’on réduit en esclavage des populations à quelques kilomètres de là donne la nausée, surtout lorsque l’actualité de notre époque ne semble pas beaucoup plus reluisante. “L’ombre de Staline” réussit à avancer une idée forte: l’égalité des classes n’a jamais existé, ni hier, ni aujourd’hui.

Un sujet capital qui suffit à faire passer un moment enrichissant même si l’esbroufe régulière dans la réalisation nous a laissé de marbre.

Nicolas Marquis

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