Jojo Rabbit

2019

de: Taika Waititi

avec: Roman Griffin DavisThomasin McKenzieScarlett Johansson

Sorti en 2019 outre-Atlantique, prix du public au Festival international du film de Toronto de la même année, Oscar du “meilleur scénario adapté” en début d’année 2020, nous nous sommes (re)plongés dans Jojo Rabbit pour ce ROD. Dès son annonce, le film a immédiatement retenu l’attention par son sujet et son approche, qui ne pouvaient laisser indifférent. On s’attendait donc à quelque chose de très alléchant: une œuvre farfelue, drôle mais dramatique, et forcément politique. Alors, satisfaits ou déçus ?

Pour commencer, Jojo Rabbit c’est un jeune garçon de dix ans, Johannes (Roman Griffin Davis), petit nazi en herbe, ayant pour ami imaginaire Hitler (Taika Waititi). Pendant une réunion des Jeunesses Hitlériennes, un accident le défigure et l’oblige à rester chez lui. Cloîtré à la maison, il va découvrir que sa mère Rosie (Scarlett Johansson) accueille une jeune fille juive, Elsa (Thomasin McKenzie). Cette rencontre va faire vaciller ses convictions et il va tisser un lien fort avec elle. 

Ce film, c’est déjà un visuel tranché: ses couleurs pastel, son sens des lignes et du rythme nous rappelleraient presque le style de Wes Anderson. D’autant plus que Jojo Rabbit est un film chorale, avec ses multiples personnages hauts en couleurs. Tous un peu fous, mais surtout tous très bien joués (oui oui même les enfants sont géniaux cette-fois)! Mention spéciale à l’acteur-réalisateur du film, Taika Waititi, qui prend des risques et c’est tellement réussi! D’ailleurs, on vous recommande (oblige!) à voir le film en VO pour savourer sa performance.

Et que dire de la musique… La BO est bien choisie, complice du film et s’inscrit dans l’Histoire: nous balancer “I wanna hold your hand” des Beatles au début et “Heroes” de Bowie à la fin, le tout en allemand, c’est extrêmement bien vu! La chanson des 4 garçons dans le vent, couplée avec des images d’archives montrant les “groupies” d’Hitler, fait écho au fanatisme ambiant de l’époque. Tandis que la chanson de Bowie parle ouvertement de deux amants séparés par le mur de Berlin, une façon d’ouvrir le film vers la suite de l’Histoire. Et les compositions de Michael Giacchino viennent ponctuer à merveille le film.

« Faites pas la gueule, on sait que vous voulez pas retourner à l’école lundi »

Evidemment, on ne peut parler du film sans évoquer le cultissime “Le dictateur” de Chaplin. Certains disent d’ailleurs que celui-ci avait lui été courageux de le faire à une époque où Hitler était encore au pouvoir, mais quid de Taika Waititi et de Jojo Rabbit ? Le gars est maori et juif, et se retrouve à devoir camper une des pires pourritures que le monde ait jamais connu, l’ennemi juré de sa communauté, et devoir faire rire les spectateurs avec pour faire passer son message. Certes, il n’a pas eu vraiment le choix s’il voulait sortir son film. En effet, ce sont les studios de production qui ont exigé que ce soit le cinéaste lui-même qui joue Hitler, sans quoi ils ne voulaient pas faire le film. Bon allez, incarner Hitler, ça doit pas être si embarrassant que ça, si ? Surtout quand t’es aussi le réalisateur du film et que tu te retrouves à devoir diriger tes acteurs déguisé en dictateur… Si finalement ça c’est pas couillu aussi! 

Et puis quoi, parce que maintenant qu’Hitler est mort, on l’a tous oublié ? Nous ne devons plus parler de cette sale période de l’Histoire et laisser tomber tout ce qui s’est passé presque un siècle avant ? Allez, sans rancune, c’était une mauvaise passade, pas de quoi en faire tout un plat…  Bah si justement ! On oubliera jamais, et l’antisémitisme reste encore trop présent aujourd’hui, comme toute forme de racisme (cf l’actu). Alors oui, 80 ans après “Le dictateur”, on se doit de faire encore et encore des films sur le sujet, de dénoncer et d’instruire nos enfants! C’est l’ADN du cinéma d’exorciser les heures sombres de l’Histoire, en les moquant. Regardez donc “La vie est belle” (celui de Benigni). Car si vous avez vu Jojo Rabbit mais que vous pensez que c’est juste une “comédie dégueulasse” qui nous fait passer Hitler pour un gentil monsieur vachement rigolo, et où on dit plein de trucs horribles sur les Juifs et ça c’est vraiment pas sympa… Vous avez tout faux, et vous n’avez rien compris au film! On n’en veut pas à ceux qui s’abrutissent 2h devant Transformers ou Fast and Furious, c’est divertissant dans la forme, mais le cinéma c’est aussi fait pour réfléchir.

Ce contraste entre le sujet abordé et ce côté jovial n’est pas là par hasard. Le cinéaste, Taika Waititi, cherche à opposer les horreurs nazies et la perception qu’en ont les enfants endoctrinés dès le biberon. Ce parti pris a été clivant pour une large partie du public, qui n’était vraisemblablement pas prête à voir un sujet aussi grave traité avec autant de légèreté, même si elle n’est qu’apparente. Ce mélange entre humour et tension dramatique a probablement perturbé les moins impliqués des spectateurs, et pourtant ce ton est là pour dénoncer. Il faut par ailleurs rappeler que le personnage d’Hitler, l’ami imaginaire du petit Jojo, n’est pas présent dans le livre “Le ciel en cage” de Christine Leunens qui a inspiré le long-métrage, mais qu’il a été rajouté par le réalisateur. Il a créé ce personnage, complètement débile et enfantin, pour mettre en évidence l’incohérence nazie, avec leurs idées et leurs méthodes bien dégueulasses. Il le fait à l’aide de dialogues et de situations tragi-comiques, terriblement bien écrites, et fait rire pour exorciser les maux de l’Histoire. “Et merde, il m’a fait rire ce con”… 

Mais plus que tout, c’est une fresque qui invite à laisser nos préjugés derrière, et le film nous le démontre avec un enfant endoctriné par les nazis et une jeune fille juive, nouant une relation intense malgré les horreurs ambiantes. Jojo finit par se construire par lui-même et par retrouver toute son innocence d’enfant. Laissez-donc nos petits vivre en paix et apprendre l’amour et le partage, et faites donc de même, merde! Les différences font la force, et l’amour est plus fort que la haine…

Jojo Rabbit est une œuvre importante, à voir absolument! Le message du film est universel et n’a rien perdu de sa pertinence et de sa nécessité. Il peut être une étape intéressante, dès que vos marmots seront assez matures, pour évoquer la guerre et le fascisme avec eux de manière plus légère.

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