2018
de: Nia DaCosta
avec: Tessa Thompson, Lily James, Luke Kirby
Régulièrement pointé du doigt pour le manque de place laissé aux femmes, on ne peut pas dire que le cinéma américain ait particulièrement fait d’efforts sur ce front les années précédentes. Dans une industrie où l’on collerait presque une date de péremption sur les actrices, passée laquelle elles ne sont plus “bankable”, une prise de conscience s’impose pourtant. Mais le climat politique outre-Atlantique, dans les USA de Trump, n’invite pas réellement les grands studios à changer de dogme. Comme souvent, c’est du côté du cinéma indépendant, plus confidentiel, qu’il faut se tourner pour voir poindre un début de changement. Exemple aujourd’hui avec “Little Woods”.
Car ce qui marque dans ce film, ce sont ses deux personnages principaux: des rôles de femmes affirmées, construits intelligemment et qui impose une vision différente du sexe féminin, qui plus est mis en scène par une réalisatrice, Nia DaCosta. “Little Woods” nous narre les déboires de Ollie (Tessa Thompson), une toute jeune adulte obligée de vivre pauvrement après avoir été placée en conditionnelle: attrapée à la frontière canadienne transportant de la drogue, sa liberté est en sursis. Elle va toutefois devoir replonger dans ce commerce illégal pour venir en aide financièrement à sa soeur adoptive, Deb (Lily James), tout aussi pauvre et enceinte d’un deuxième enfant dont elle ne peut assurer le confort financier.
Deux portraits de femmes donc, assez opposées de caractère mais unies par un lien plus fort que les différences. Ollie est une débrouillarde et bénéficie d’une écriture pleine de justesse. Bien incarnée par Tessa Thompson qui fait corps avec son rôle, son personnage à peine adulte est plein de contradictions, comme l’est souvent la vie. Cela lui confère un côté réaliste et attachant, loin du manichéisme cinématographique habituel.
On est plus mitigé en ce qui concerne Deb: volontairement plus faible dans cette histoire familiale compliquée, sa posture de victime permanente nous a souvent agacé. Même si le scénario justifie cette position, cette différenciation par rapport à sa soeur est trop marquée, trop bancale, trop caricaturale. D’ailleurs, Lily James a de temps à autres bien du mal à se dépêtrer de ce rôle qui devient presque secondaire.
« Les huissiers ont même embarqué les chaises »
C’est dommage car visuellement, et au-delà de la différence de carnation entre les deux personnages, Nia DaCosta offre une réalisation d’apparence simple mais pourtant calculée. La symétrie de ses plans semble savamment orchestrée et à l’inverse, lorsque souvent les cadrages cassent cette volonté, c’est presque toujours pour retranscrire une émotion, appuyer sur un fait de l’histoire de ces deux femmes.
Cette asymétrie, elle est même scénaristique, entre les USA et le Canada. Agréable fait notoire du scénario, ce n’est pour une fois pas les États-Unis qui sont une destination rêvée, mais bien sa voisine du nord. Pour principal moteur de cette histoire, la révolte sociale de gens en bas de l’échelle, condamnés de plus en plus à la pauvreté et à qui on n’offre aucune perspective. L’enfant qu’attend Deb, il est une charge financière insurmontable dès la grossesse, dans un pays où l’accès aux soins n’est pas gratuit. Garder cet enfant ou se faire avorter, dans des conditions tout aussi délicates, c’est tout le dilemme du long-métrage qui vise juste dans ce domaine.
Un sujet peut-être un peu trop tiré en longueur. La tension scénaristique du film est parfois inégale et on serait presque tenté de décrocher par moments. “Little Woods” trouve heureusement régulièrement du rebond, mais souvent un peu tard. Le long-métrage n’est pas une véritable descente aux enfers mais plutôt une espèce d’équilibre précaire permanent: de quoi contrarier un peu le propos de l’œuvre et donner le sentiment que le film ne va pas au bout de sa démarche.
Pourtant, “Little Woods” reste pertinent pour celui qui réussit à s’y attacher. Femmes ou hommes, le constat est presque le même: les USA fantasmés n’existent plus (s’ils ont réellement existé un jour…) et la doctrine économique américaine un peu idiote pousse les plus pauvres à l’illégalité pour survivre. Pire encore dans le domaine strictement féminin, la liberté de corps n’est que peu respectée et lorsque ce n’est pas la pudibonderie qui contrarie la volonté de ces femmes, c’est la précarité dans laquelle elles vivent qui leur dicte leurs décisions.
Dans l’absolu, “Little Woods” est un film moyen, où chaque qualité est contrebalancée par un défaut gênant. Mais il lui reste un atout inaliénable: affirmer un film porté presque uniquement par des personnages féminins construits, sans chercher à en faire un argument marketing idiot. Dans notre époque, c’est déjà une bonne démarche.