2020
réalisé par: Casey Affleck
avec: Anna Pniowsky, Casey Affleck, Tom Bower
On vous emmène sur une route de campagne: une large bande de macadam imperturbablement droite qui cisaille une forêt. Le temps est gris, orageux, et les feuilles d’automne décorent le sol. À la façon dont elles s’étalent sur le bitume, vous devinez que presque aucune voiture n’emprunte ce chemin. Puis au loin se dessine une silhouette: un personnage en manteau rouge, à la barbe hirsute et à l’air désabusé. Derrière lui, suivant littéralement ses pas, une créature plus petite: une fillette ou un garçon, difficile à dire mais le rejeton de l’homme, l’attitude ne ment pas. Alors que vous croisez leur trajectoire, vous suivez du regard ce triste cortège qui continue son chemin. Devant eux, une ville en ruines plus grisâtre que le ciel. Une cité à l’agonie.
Pardonnez-nous, on aime parfois se lancer dans des élans poétiques pompeux, on ne se refait pas, mais rassurez-vous, on va tenter de faire plus lisible pour la suite. On parle ici du film de Casey Affleck, également en tête d’affiche avec la jeune Anna Pniowsky, “Light of my Life”. L’histoire d’un père et de sa fille qui luttent pour survivre dans un monde où une maladie a ravagé la quasi totalité de la population féminine. Tentant désespérément de faire passer l’adolescente pour un garçon afin de ne pas attirer les convoitises, nos deux aventuriers vont également tout faire pour vivre en autarcie, loin de tout et de tous, le danger pouvant survenir à tout instant.
Ce pitch, il est déjà évocateur de plusieurs autres oeuvres qui assemblaient des survivants plus ou moins disparates pour les placer dans un contexte quasi-apocalyptique. On pense aux “Fils de l’homme” dont nous vous avons déjà parlé; à “La route”, le roman de Cormac McCarthy également adapté au cinéma; mais surtout à “The Last of Us”, le jeu vidéo de Naughty Dog à qui “Light of my Life” fait clairement la révérence. C’en est même parfois perturbant: on ne parle pas de simples similitudes dans ce duo adolescente et homme adulte, mais bien de séquences précises qui empruntent la grammaire du jeu vidéo culte.
« Sur la route toute la sainte journée… »
Pourtant, il faut voir au delà de ces artifices. “Light of my Life” est une oeuvre singulière, où l’apocalypse est lente et où les hommes sont perpétuellement au bord de la folie. Pourtant, grâce à un excellent montage, c’est une ambiance poignante qui règne, mais aussi un équilibre précaire qui peut rapidement basculer au gré des rencontres ou à travers des flashbacks semblables à des coups de poignard, derniers vestiges d’une mère (Elisabeth Moss) emportée par la maladie il y a bien longtemps.
Mais ce long-métrage, c’est surtout une métaphore: toute la dynamique du film va reposer sur le sentiment de paternité face à une adolescente, à un moment où la fille devient jeune femme. Tout le dilemme du “lâcher prise” pour que l’oiseau quitte le nid. Rag, comme la surnomme son père, est l’une des dernières femmes au monde: n’est-ce pas là le sentiment qu’éprouve tout père aimant pour sa fille? Voilà comment “Light of my Life” devient émouvant, en utilisant son contexte pour exacerber des émotions concrètes dans notre vie quotidienne.
Casey Affleck schématise d’ailleurs ouvertement la famille dans sa mise en scène: son personnage n’est presque jamais nommé et quand il l’est, on soupçonne que c’est un faux nom. “Dad”: avec un simple choix de neutralité, le film résonne dans les coeurs et devient attachant.
Dès son ouverture, “Light of my Life” montre l’opposition entre père et fille. Dans une jolie scène tout en intimité, Dad raconte une histoire inventée à Rag sous leur tente de fortune. À la façon dont l’enfant reprend les détails dissonants de l’histoire, on voit déjà les graines d’émancipation qui germent.
L’oeuvre évoque aussi la sexualité avec pertinence. Dad est dos au mur lorsque Rag lui demande comment on fait les bébés (tu vois cette bouteille de lait?) pour finalement se rendre compte que l’enfant connaît le mot “sexe”. Un peu plus facilement, un dilemme moral s’installe lorsque Rag souhaite porter des vêtements de fille, ce qu’interdit son père pour leur sécurité. Toutefois, dans ces scènes d’apparence simpliste, il convient de prendre un peu de recul. Dad cherche (sûrement trop intensément) à protéger sa fille et la métaphore qu’on évoquait plus tôt revient immédiatement en tête: comment aborder le début de vie sentimentale des enfants? La réponse du film est fataliste: vous n’avez aucune prise sur eux dans ce registre. C’est d’ailleurs une fois cette idée assimilée qu’on réévalue les rapports de force et que le film suit un crescendo logique dans son propos.
Poignant, touchant, voire par moments bouleversant, “Light of my Life” est un film qui parle à tous les parents et qui exploite efficacement son cadre.