(The Beguiled)
1971
réalisé par: Don Siegel
avec: Clint Eastwood, Geraldine Page, Elizabeth Hartman
Difficile de dissocier l’image qu’on se fait de Clint Eastwood du western. Bien sûr, la carrière prolifique de l’acteur et réalisateur ne se confine pas à l’ouest américain mais en une poignée de rôles emblématiques, il est devenu une véritable icône du genre. Par son interprétation et parfois ses propres réalisations, il a su redéfinir les codes et s’imposer comme un véritable modèle.
Mais si « Les proies« , mis en scène par son ami Don Siegel (et revisité en 2017 par Sofia Coppola), se déroule bien à l’époque des cowboys et bandits de grands chemins, le film n’a rien de classique et se rapproche davantage de la tragédie que du western. On y suit en pleine guerre de sécession le destin de McB (Clint Eastwood), un soldat nordiste blessé qui trouve refuge loin des combats dans un pensionnat de jeunes filles acquises à la cause sudiste. Un jeu pervers de manipulations et de relations intimes malsaines va alors prendre place entre les demoiselles et le combattant.
Clint Eastwood apparaît donc ici comme le manipulateur en chef, séduisant tour à tour les jeunes femmes pour mieux assouvir ses envies. L’acteur délimite les contours d’un personnage profondément vicieux et sadique, un véritable antagoniste loin des héros habituels que campe le comédien. Avec justesse et générosité, il réussit à imposer ce modèle de perversion. Grâce à son interprétation, McB devient un protagoniste qu’on aime détester.
En face de lui, les pensionnaires et enseignantes de la maison semblent collectivement plus stéréotypées. C’est avec sans doute trop de facilité qu’elles succombent au charme du soldat, même si cet appétit sentimental n’est pas anodin. On a l’impression tenace qu’elles sont de véritables cœurs d’artichauts frappés par un coup de foudre général qui laisse perplexe.
C’est en prenant chacune de ces femmes individuellement qu’on apprécie le panel de mentalités assez large que propose Siegel, allant de l’enseignante naïve qui croit au grand amour jusqu’à la jeune intrigante qui ne cherche à assouvir qu’un simple appétit sexuel. « Les proies » est un film chorale qui se tient.
« Allez hop! Confiné! »
Le titre de l’œuvre invite d’ailleurs à une réflexion plus poussée. Qui sont les proies et qui sont les prédateurs dans le film? Impossible de répondre clairement à cette question tant les rapports de force s’inversent régulièrement et avec beaucoup d’intelligence dans le long métrage. On croit que McB maîtrise la situation et c’est finalement le casting féminin qui prend l’ascendant avant de reperdre la main et ainsi de suite.
Une confusion volontaire qu’on retrouve également chez le personnage que joue Clint Eastwood. En proposant un soldat nordiste comme un être vicieux alors qu’ils sont d’ordinaire bons et valeureux dans les productions hollywoodiennes, Siegel va à contre-courant de l’industrie. C’est dans ce contre-pied que le message de son œuvre va s’épanouir. D’un côté, le cinéaste rappelle qu’il n’y a ni bon ni mauvais dans une guerre, seulement des êtres humains avec tous les défauts que cela appelle. D’un autre côté, le réalisateur affirme que même loin des combats, personne n’est épargné. Un esprit de souffrance plane sur « Les proies« , l’idée que la guerre corrompt tout, même les mentalités les plus inflexibles.
Une thèse que Siegel va appuyer dans sa réalisation. L’auteur est maître du rythme dans « Les proies« , il impose un crescendo de tension qui fonctionne parfaitement grâce à un tempo maîtrisé. Le quasi huis-clos que constitue le long métrage accentue lui aussi le stress: brèves sont en général les scènes d’extérieur, on revient toujours entre les murs de cette austère demeure.
En guise de touche finale, Siegel va apporter un très léger côté spectral à son film pour gagner en impact. Il y a déjà les scènes éclairées à la bougie où la pénombre n’est jamais loin, mais c’est surtout au traitement sonore qu’on pense. Entre la bande originale de Lalo Schifrin pleine de drame et les voix off éthérées et fantomatiques qui accompagnent les flashbacks, le cinéaste tisse un peu plus son propos.
Les personnages plein de vice interpellent dans « Les proies« . Siegel propose un voyage intéressant dans le côté sombre de l’être humain, loin des clichés habituels.