2019
de: Zabou Breitman, Eléa Gobbé-Mévellec
avec: Simon Abkarian, Zita Hanrot, Swann Arlaud
« Mon amour,
Je me suis levé bien tard ce matin: les coups de feu et les cris m’ont empêché de dormir durant une bonne partie de la nuit. Au réveil, j’ai constaté que nos placards étaient presque tous vides et j’ai du piocher dans l’argent que nous mettions de côté pour quitter l’Afghanistan pour me rendre au marché. Je t’en supplie pardonne-moi. J’ai enfilé les chaussures que tu m’avais offertes peu de temps avant notre mariage. Usées, j’ai tenté de les réparer comme je pouvais, et j’ai remplacé l’un des lacets par de la ficelle: voilà longtemps que l’on ne trouve plus de cordonniers à Kaboul. Je devrais me résoudre à en changer, mais elles me rappellent ton sourire ce jour-là, quand nous étions heureux. En chemin je suis passé devant l’université où nous nous sommes connus: elle était aussi délabrée que le reste des bâtiments de la ville, comme éventrée. Au loin, j’ai aperçu un groupe de talibans. Ils avaient amoncelés des livres et même de simples feuilles de papier pour les brûler. Le marché était presque désert. Il y a encore quelques années, il pétillait des couleurs des épices et des fruits bien mûrs et juteux. Aujourd’hui, il ne reste en tout pas plus de 4 marchands, et leurs étals étaient vides: je ne mangerais pas aujourd’hui encore. Sur le chemin du retour, j’ai observé un attroupement au bout de la rue. Les hommes étaient comme hystériques, lançant des pierres en proférant des injures. Juchés sur un char, des enfants les imitaient. Je n’ai pas eu le courage d’avancer plus loin, de peur de croiser un autre corps lapidé. J’ai préféré faire un détour, mais sans m’en rendre compte, mes pas m’ont porté jusqu’au stade de football. Je me suis rappelé ce jour funeste, où les barbares t’ont arrachée à moi, et t’ont abattue comme un animal avant la rencontre sportive. À genoux, j’ai pleuré pendant de longues minutes, avant de regagner notre maison qui tombe en ruine. En route, j’ai entendu l’appel à la prière, mais je ne me rends plus à la mosquée depuis que les talibans ont pendu l’imam pour le remplacer par un prêcheur de haine. Je ne supporte plus cette vie, et quoi que je fasse, la misère ou les bourreaux finiront par avoir raison de moi. Je t’en prie, attends-moi encore un peu là-haut, je meurs à mesure que notre pays que tu aimais tant agonise lui aussi. Je serai bientôt à tes côtés, dans le ciel, et nous aurons enfin le droit d’être heureux ensemble. »
À travers ces quelques lignes librement inspirées du long-métrage, et avec beaucoup moins de talent que Zabou Breitman et Éléa Gobbé-Mévellec qui signent la réalisation des “Hirondelles de Kaboul”, votre humble serviteur tente de restituer par son imagination une partie de l’ambiance du film d’animation sur lequel les Réfracteurs s’attardent aujourd’hui.
Durant la terreur imposée par les talibans, “Les hirondelles de Kaboul” nous raconte le destin croisé de deux couples: Atiq, un geôlier, et sa femme Mussarat souffrant d’un cancer incurable, mais également Mohsen et Zunaira, anciens professeurs tous les deux. À la suite d’une dispute, cette dernière va tuer son mari par accident. En prison, malgré leurs différences, Zunaira et Atiq vont tisser un lien, contre toute attente.
La première chose qui frappe dans le long-métrage qui nous intéresse aujourd’hui tient en quelques mots: c’est beau ! Visuellement, ce mélange de couleurs pastelles et cette impression d’aquarelle nous décroche la mâchoire. Certes, l’animation donne parfois des impressions de saccades très légères, mais comment ne pas être ébahi par ce rendu visuel impeccable et tellement à-propos.
« Tant pis pour le dernier Titeuf »
D’autant plus que le film ne se repose pas uniquement sur son apparence, mais propose également une vrai réalisation. On en connaît de nombreux, des portes-drapeaux de l’animation au cinéma, qui se reposent sur leur apparence pour ne proposer aucune grammaire cinématographique. “Les hirondelles de Kaboul” n’est pas de ceux-là. Un jeu de lumière la nuit pour mettre en valeur un personnage, un simple rideau qui cache un secret, un montage en plan fixe sur le squelette à nu d’une ville qui n’est plus, une vue subjective derrière une burqa… Le film regorge de petites idées qui fonctionnent, et joue bien avec sa rythmique. C’est simple et beau !
Dans son propos, “Les hirondelles de Kaboul” n’est pas en reste non plus, et restitue un Afghanistan cohérent, en plus de réussir à l’évoquer sur la longueur. Un flashback très court sur un cinéma resplendissant, pour ensuite le montrer en ruine, et c’est tout le passé du pays que l’on intègre. Des enfants qui participent à une lapidation et c’est le futur de l’Afghanistan que l’on comprend condamné à l’horreur.
Une fois ce décor planté, le long-métrage peut librement construire des personnages réfléchis, et les confronter. C’est presque naturellement, d’une manière très fluide que le film évolue. Certes on peut lui reprocher un coté un peu bavard par endroits, et larmoyant par essence, mais ça ne dénature ni le constat, ni le plaidoyer.
Atiq tout particulièrement, nous propose une trajectoire bien travaillée: un homme las des guerres incessantes, qui touché par l’art pictural de la condamnée va ouvrir son coeur progressivement. Pas besoin d’être savant pour s’émouvoir, seulement d’être humain. C’est presque sans parole que le personnage va compatir avec cette femme condamnée, Zunaira. Elle aussi d’ailleurs est construite avec pertinence, et porte de nombreuses réflexions bienvenues.
Car son personnage est celui de l’érudit, à l’instar de son défunt mari. Tout ce dilemme entre quitter l’Afghanistan pour fuir la barbarie, et rester dans ce pays qui est le sien, mais où boire un simple soda devient un délit, c’est elle avant tout qui l’amène. Elle permet une touche d’originalité dans ce scénario qui ainsi se distingue des autres essais autour de ce territoire en ruine. Même son crime ouvre la porte aux interprétations: les circonstances atténuantes sont exclues du jugement des talibans, alors même que ce qu’ils qualifient de meurtre ressemble davantage à un accident engendré par un contexte inhumain.
C’est tout le déclin de l’éducation que Zunaira porte aussi, cette opposition entre les gens simples désemparés, et les savants à court d’espoir. Elle est le pont entre ces deux Afghanistans que les circonstances opposent mais qui forme pourtant un seul et même peuple. car comme il est coutume de dire: “Pour que le mal triomphe seule suffit l’inaction des hommes de bien”
“Les hirondelles de Kaboul” est un film précieux et délicat, empli de désillusions mais aussi d’espoirs. Il est comme une fleur qui pousserait au milieu d’un charnier. Ã nous d’en prendre soin, et de répandre son parfum de liberté, car comme le film l’affirme: “Il faut vivre!”.