Le trésor de la Sierra Madre

(The Treasure of the Sierra Madre)

1948

de: John Huston

avec: Humphrey BogartWalter HustonTim Holt

Lorsque l’on cherche des exemples de films qui portent de vrais charges politiques, le western de l’âge d’or d’Hollywood n’est pas le premier genre cinématographique qui nous vient en tête. S’il est communément admis aujourd’hui qu’une fresque historique peut résonner avec le présent, simplement en mettant en évidence ressemblances et différences, le film de cowboy a longtemps été cantonné à un rôle de simple divertissement. Et pourtant, alors que l’on s’attendait à vivre un nouveau film sans grande prise de tête, “Le trésor de la Sierra Madre” nous a complètement surpris avec son message sociétal fort. On vous développe tout ça.

On suit donc l’histoire de Dobbs (Humphrey Bogart), une espèce de gros branleur qui fait la manche dans une ville mexicaine. Las de sa vie de misère et de se faire entuber par tout ce qui bouge, il va s’associer à Curtin (Tim Holt) et le vieux prospecteur Howard (Walter Huston) et se lancer dans la quête d’un filon d’or qui les rendraient riches.

Dans son film, le réalisateur John Huston va clairement installer tout le décor habituel du western en jouant sur des scènes iconiques du genre. Une attaque de train, la recherche d’un filon, les feux de camps ou encore les cavalcades: aucun doute, “Le trésor de la Sierra Madre” est clairement de la famille des longs-métrages où on dégaine les colts et ou on on joue de l’harmonica.

Plus poussé encore, cette façon d’imposer des personnage symboliques, eux aussi directement liés au western. Howard, le vieux chercheur d’or, pourrait ainsi totalement s’adapter à un autre scénario. Idem pour les bandits mexicains, avec leurs larges sombreros et leurs cartouchières en bandoulière. Ces personnages on les connaît, on les a déjà vus et ils sont là pour s’attaquer au rêve américain en offrant une partition plus cohérente que fantasmer.

Enfin cohérente… on a beau regarder le film dans tous les sens, il n’en reste pas moins un (très très très) léger fond de colonialisme à l’américaine. Certes, les vraies valeurs, celles de la famille par exemple, sont amenées par les autochtones mais la façon dont John Huston les incorpore au récit laisse perplexe. Souvent très manichéen, ses personnages mexicains oscillent entre bandits assoiffés d’or et villageois véritables laquais serviles, sans offrir de demi-mesure.

« Ils ont morflés les 2be3 »

Mais peut-être est-ce disposé ainsi pour mieux déconstruire les valeurs américaines, car à bien y réfléchir, le personnage de Bogart n’est pas plus mesuré dans ses actes. Alors qu’il ne glande pas grand chose d’autre que la manche, sa soif d’argent facile l’aveugle. Il ne va d’ailleurs pas hésiter à foutre un peu la merde au pays de Coco pour son intérêt personnel. Lorsqu’il se plaint qu’être mendiant blanc est plus dur que SDF mexicain, on frémit devant son idiote théorie.

Et ça fonctionne! John Huston semble déterminé à ne pas imposer Humphrey Bogart en héros plus fort que tout, mais davantage comme un homme “normal” que l’argent corrompt. C’est cela le message principal du film, cette notion de richesse qui appelle toujours plus de profit. Pour faire passer ce message, Huston va s’appuyer sur une réal léchée. En plus des installations iconiques qu’on a évoquées, son sens du rythme est très bon, et ses préparations suffisamment subtiles pour fonctionner.

En imposant ainsi son acteur principal comme un homme ordinaire, le réalisateur va mordre au cou les mythes américains aussi fondateurs que fantasmés par la réécriture de l’Histoire. Prenons l’esprit d’entreprise par exemple: aucune association bon enfant. Non, dans “Le trésor de la Sierra Madre”, nos trois comparses s’envient, se dévisagent, se menacent. L’or qui les rend fous pourrait facilement se transformer en sacro-saints dollars.

En déclamant dès le début qu’il saura s’arrêter à temps, avant de dérailler, et en constatant son échec, Huston affaiblit intelligemment Bogart et permet ainsi de donner plus de fond à son histoire. C’est un peu comme si Chris Evans, après avoir joué Captain America pendant des années, se retrouvait en homme faible, aveuglé par le gain: c’est couillu. Et ça l’est encore plus à l’époque, alors que les acteurs étaient généralement limités à des rôles bien spécifiques.

A-t-on vraiment changé avec les années? Avez-vous l’impression que l’argent et l’appât du gain ont moins de poids à notre époque? Croyez-vous vraiment que ce message ait vieilli? Non!

Intéressant de constater qu’avec les années “Le trésor de la Sierra Madre” a su s’affirmer en précurseur. En plus d’un western efficace, son message politique continue d’être pertinent.

Nicolas Marquis

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