La Féline

(Cat People)

1942

Réalisé par: Jacques Tourneur

Avec: Simone Simon, Kent Smith, Tom Conway

En 1942, pour évoquer la sensualité et la passion au cinéma, les studios américains doivent se montrer inventifs. Le code Hays est en vigueur et le 7ème art outre-atlantique vit sous le joug de règles strictes, notamment pour tout ce qui concerne les questions de nudité. La réponse artistique est peut être dans la métaphore puisque c’est cette année que la RKO va offrir au public “La Féline”, un film du très français Jacques Tourneur à ses heures américaines. Quelle famille animale serait plus appropriée que les félins pour symboliser le désir d’un être pour un autre? Pour les plus petits on souhaite les choyer, tandis que pour les plus grands leur beauté nous envoûte. S’en approcher c’est se mettre en danger et pourtant l’envie se fait irrésistible. C’est avec cette idée en tête que notre séance peut commencer.

Elle est axée autour d’une histoire d’amour, celle qui unit Irena (Simone Simon) et Oliver (Kent Smith). Leur rencontre est un coup de foudre emprunt d’une note de mystère: la belle se fait fuyante, comme habitée. Pourtant leur idylle naît, mais au fur et à mesure qu’elle grandit, la fascination démesurée qu’éprouve Irena pour les félins va se faire de plus en plus effrayante, au point de la croire possédée par d’anciens esprits qui l’invitent à la violence. Quand la jalousie s’en mêle, le récit devient un mélange de thriller, de romance, et de fantastique.

On se laisse initialement séduire par la toile de fond que nous offre le long métrage. La figure du félin à sa place dans l’Histoire et le film sait se l’approprier pour offrir un contexte relativement novateur. On est finalement jamais très loin d’un film de vampire ou autres créatures mythiques dans la logique du récit, mais en même temps on nage dans un environnement nouveau, propice à l’imagination.

Une touche de paranormal qui n’est toutefois pas totalement affirmée: c’est peut être là une des belles idées du film, laissez la porte ouverte à toutes les explications. Irena est elle possédée? Souffre-t-elle de démence? Est elle endoctrinée par le folklore prétendument d’Europe de l’est qu’on lui associe? Jacques Tourneur va nous refuser les réponses, forcer son public à chercher un message sur un autre degré de lecture, et heureusement car il faut bien reconnaître qu’au premier degré, son histoire ne séduit pas totalement.

« Amourette au zoo. »

Les revirements moraux de ce mari bafoué par la froideur de sa femme semblent par exemple arrivés tel un cheveux sur la soupe, aussi inattendus que l’apparition de certains personnages qui prennent en quelques secondes une importances extravagante. “La Féline” oublie peut- être parfois d’être cohérent, emporté par le souffle de la métaphore qu’il tisse.

Alors prêtons nous au jeu diablement intéressant ici de l’interprétation et plaçons nous d’abord dans la peau de l’homme, le personnage le plus neutre du couple. On peut voir aisément dans sa romance la vision d’un amour pathétiquement ordinaire. D’abord fasciné par sa conquête, son désir s’éteint dès lors qu’il se marie. Il se lasse. Sûr ce premier axe, “La Féline” va justement jouer sur l’image de la panthère qui se meurt dès lors qu’on la met en cage. Une idée que le film va pousser très loin dans sa résolution.

Il est surtout bon d’essayer de s’identifier à Irena et de subir avec elle la grande dureté que lui inflige le scénario. Autour de son mal intérieur va venir se greffer tout un lot de vexations, parfois immondes. La supposée possession devient alors l’image des barrières sociales: Irena est une bête affamée, qui n’a presque plus rien et qui voudrait sortir de sa cage. Presque malgré lui, le film porte aussi un message politique: le fardeau et la mauvaise réputation qu’on impose à cette femme sont aussi le fruit de ses origines étrangères et nous vient fatalement en tête le spectre du racisme. Irena est un parfait exemple de personnage torturé parfaitement construit.

Si on s’en fit au temps d’écran, mais aussi surtout à la mise en image de Jacques Tourneur, c’est d’ailleurs avant tout elle que l’on suit. Dans un film se passant en grande partie de nuit, le metteur en scène trouve des nuances d’éclairage stupéfiantes pour donner de la stature à son égérie, elle aussi française. C’est peut être de là que vient le sentiment que ce premier rôle féminin est un peu mieux dirigé que les autres. Toujours est-il que des visuels de l’envoûtante envoûtée persistent dans la mémoire.

La Féline” mérite d’être intellectualisé: derrière sa grammaire de film d’angoisse pointe une vision acerbe de la société qui n’a pas vieillie.

Nicolas Marquis

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