(The Hill)
1965
réalisé par: Sidney Lumet
avec: Sean Connery, Harry Andrews, Ian Bannen
C’est parfois facile le cinéma, une intention pure qui se transforme en émotion dans le cœur du spectateur par l’intermédiaire de l’écran. Dès l’entame de son film “La colline des hommes perdus”, Sidney Lumet, le réalisateur immensément culte pour de nombreux cinéphiles, va embrasser cette simplicité pourtant réfléchie. En une respiration, presque un seul mouvement de caméra, il va proposer tous les enjeux de ce drame militaire: Lumet balaye du regard un camp de prisonniers de guerre, pour la plupart déserteurs et combinards en tout genre, puis une immense colline de sable vient manger l’écran, le genre de monticule qui vous casse les jambes à escalader et que l’on dégringole plus qu’on ne descend. Arrivent enfin nos personnages: de rudes gardes à l’uniforme impeccable puis une poignée de prisonniers fraîchement débarqués. Sur leur physique se lit leur personnalité, allant du gringalet fragile au soldat froid et solidement charpenté. En guise de bienvenue, on leur intime l’ordre de multiplier les aller-retour sur la terrible colline. Voilà, en une séquence, Lumet a déjà tout posé avec une facilité déconcertante: le cadre, la mécanique de narration qui passe par cet effroyable édifice de sable, les personnages et le thème profond de son œuvre, une réflexion sur l’autorité et la nécessité de la remettre en cause.
Dans cet environnement hostile surnage un Sean Connery magnétique et incandescent à la fois. Au moment de pleurer le décès de l’acteur il y a quelques mois, on était nombreux à mentionner cette collaboration avec Sidney Lumet: “La colline des hommes perdus” est l’une des toutes meilleures performance du comédien britannique, pétri de charisme et de talent. Sans jamais virer dans le ridicule, il tire l’œuvre vers le haut.
Mais c’est dans le collectif que “La colline des hommes perdus” trouve tout son sens, dans l’aspect chorale de la pellicule. Il n’y a pas de vérité générale imposée comme dogme absolu dans le film, mais plutôt une pluralité des opinions qui dessine une limite fluctuante entre se plier à l’autorité et la désobéissance parfois nécessaire. En imposant des détenus aussi différents, Lumet permet au public de s’accrocher tour à tour à l’un ou l’autre, faisant de notre parcours de spectateur un cheminement personnel.
La mixité des sentiments s’éprouve aussi au moment de juger les tortionnaires, les gradés prompt aux punitions les plus dangereuses pour la santé morale ou physique des prisonniers. Lumet n’impose pas d’antagoniste clair, mais plutôt une sorte de dégradé de la violence. “La colline des hommes perdus” ne nous conduit pas bêtement d’un point A à un point B mais invite plutôt son audience à se faire sa propre idée. Un choix de la subtilité plutôt que de la lourdeur.
« Le beau-gosse. »
Le message du long métrage n’en apparaît que plus puissant: un esprit rebelle plane sur le film mais c’est dans un ressenti très personnel que chacun finit par capter le message pacifiste de Lumet. Le cinéaste expose la bêtise de l’uniforme, l’impunité des gradés et la servilité de ceux qui obéissent aux ordres par peur et pourtant, jamais on ne se sent brusqué dans cette démonstration, on absorbe volontiers chaque nouvel élément pour assembler notre propre thèse. Il est ici le fond de l’œuvre, dans nos sentiments face à une hiérarchie décadente, dans notre résilience avant de craquer sous la pression.
Une telle démonstration appelle un sens esthétique irréprochable que va totalement atteindre Lumet. Il reste en bouche immédiatement après le film un goût très primaire. Le cinéaste réalise un film humain qui capture les corps de nos tristes héros dans toute la douleur qu’ils subissent. On transpire, on souffre et on se confronte dans “La colline des hommes brisés”, les êtres se déchirent.
Cette idée est accentuée par une volonté de montage agressif et mordant. Il se dégage quelque chose d’animal des cuts sauvages de Thelma Connell, la monteuse. On pense respirer un moment devant le paysage désertique et immédiatement, on est déstabilisé par un retour violent à la souffrance. Le rythme de l’œuvre reste sans conteste l’un de ses points forts.
D’autant plus que cette cadence empêche le film de basculer dans une proposition trop théâtrale qui ruinerait la réflexion personnelle. Lumet donne du souffle dans sa mise en scène, du liant. On ne passe pas d’une portion du récit à une autre bêtement mais on suit un cheminement logique qui ne cesse de se faire sentir pendant toute la durée de la pellicule. “La colline des hommes perdus” porte une envie de fédérer un nombre de spectateurs large.
C’est dans cette idée également que Lumet et son directeur de la photographie Oswald Morris vont proposer tout un processus d’angles de caméra ludiques et rythmés. On multiplie les plongées et contre-plongées, on passe des grands angles à des visuels plus resserrés et on permet à tout moment au cinéaste de s’épanouir dans une séquence plus tenue, comme lors d’un de ces travellings virtuoses qui ponctuent “La colline des hommes brisés”. Toute l’essence du cinéma de Lumet réside dans cette envie de caresser des problématiques complexes mais en invitant un maximum de gens à la réflexion.
Rencontre parfaite entre un acteur principal au mieux et un réalisateur de génie, “La colline des hommes perdus” est une pépite du passé prête à vous faire vaciller.