2020
réalisé par: Miranda July
avec: Evan Rachel Wood, Gina Rodriguez, Debra Winger
Les Réfracteurs aiment les bizarreries, ces oeuvres loufoques qui théorisent l’absurde pour mettre en perspective notre quotidien. Bien trop souvent, il manque à nos existences ce grain de folie qui rendrait notre quotidien exceptionnel. Le cinéma permet cette pirouette, il peut s’appuyer sur une grammaire aussi étrange que séduisante pour égayer nos vies. L’univers cinématographique de Miranda July est de ces oeuvres qui suivent cette logique farfelue et on réfracte aujourd’hui son dernier film: “Kajillionaire”.
L’histoire d’une jeune femme, “Old Dolio” (Evan Rachel Wood) qui vit en compagnie de ses parents de petites arnaques minables. Notre héroïne souffre de ce cadre familial anxiogène dans lequel elle est totalement privée d’amour, sa famille étant davantage soucieuse de l’argent que des rapports humains. Son quotidien va être bousculé lorsque cet étrange trio va croiser le chemin de la bien plus compatissante Melanie (Gina Rodriguez).
Dans ce conte un peu perché, la caméra de Miranda July va imposer un long-métrage tout en douceur, où le regard de la cinéaste se fait compatissant pour ce protagoniste principal différent. Photo, cadrage, musique… Tout semble appuyer cette envie de volupté pour mieux avancer ce personnage sans l’imposer. C’est progressivement que Old Dolio fait son chemin dans notre coeur avec beaucoup de tact, sans débauche de sentiments fabriqués.
Dans le film, l’emploi de très nombreux ressorts absurdes, pour ne pas dire complètement perchés, viennent rythmer le scénario comme une ponctuation farfelue. La famille au centre de l’intrigue habite par exemple un appartement situé sous une “fabrique de bulles” et doit régulièrement nettoyer la mousse savonneuse qui s’écoule le long des murs. C’est franchement tordu mais loin d’être inutile, la plupart de ces éléments décalés trouvent au fur et à mesure du récit une signification plus profonde et dictent le tempo du film en même temps qu’ils attirent notre attention.
Pour appuyer le sentiment d’étrangeté, Miranda July propose une pellicule frappée d’une patte graphique bien spéciale. Les couleurs fusent, les personnages arborent des looks improbables, les décors se font stylisés… Il y a la volonté dans “Kajillionaire” d’enchanter l’oeil en même temps que l’esprit et ce point précis est une des plus belles réussites du film.
« Promo sur les nuggets »
Au diapason de cette histoire saugrenue, le casting se fait saisissant de sincérité. Derrière une Evan Rachel Wood complètement métamorphosée, c’est l’ensemble des comédiens qui se plient à l’exercice. Miranda July va d’ailleurs les diriger avec brio, imposant chaque mouvement comme une chorégraphie qui amène une nuance de sentiments. Chaque geste prend son sens dans la logique du récit.
Si on prend un peu de recul, on s’aperçoit qu’avec un talent certain, Miranda July réussit l’exercice complexe de définir un personnage principal non pas par ses traits de caractère mais davantage par l’absence de certains sentiments les plus basiques. Old Dolio est une page blanche et il faut imaginer ce que le film ne montre pas. Une grammaire filmique très particulière qui confine au numéro d’équilibriste et qui sied parfaitement à la réalisatrice.
C’est d’abord dans le moule de la société que ne se fond pas le protagoniste principal. Old Dolio est une marginale qui n’a même pas assimilé les règles les plus basiques des rapports humains. Lorsque l’histoire la confronte aux autres, elle intériorise et on devine une blessure plus profonde. Son existence faite de débrouillardises un peu pathétiques la condamne tristement à l’isolement et tout le cœur du récit va se jouer dans son affirmation.
Mais ce qui émeut le plus est probablement le manque d’amour que lui manifeste sa famille. Comment appréhender les autres lorsque nos parents nous privent totalement d’amour. Old Dolio est un instrument pour ces parents et à aucun moment on ne lui témoigne de l’affection. Même son nom, la base de son identité, est dépourvu d’affect. C’est cette réflexion poussée autour de la place de l’enfant dans la famille qui touche le plus le spectateur.
“Kajillionaire” est une belle réussite. Un conte de fée farfelu qui invite au rire comme aux larmes. Une œuvre unique qui mérite définitivement un coup d’œil attentif. Une fois encore, Miranda July affirme une identité unique qui séduit.