2014
réalisé par: David Robert Mitchell
avec: Maika Monroe, Keir Gilchrist, Olivia Luccardi
C’est une tradition immuable dans l’Histoire du cinéma de genre: cette proportion qu’ont de nombreux films d’horreur à s’adresser à la jeunesse. Qu’on pense aux oeuvres les plus légères qui jouent simplement sur les jumpscare pour défier les jeunes adultes ou à des pellicules plus profondes qui tentent de théoriser les angoisses et aspirations des adolescents, la cible est la même. Dans les années 80, alors que les Slashers sont à leur apogée, cette pratique est même devenu un fond de commerce. Mais public restreint ne veut pas forcément dire manque de sens, bien au contraire. On va le démontrer aujourd’hui alors qu’Halloween approche avec notre critique de “It Follows”, un film signé David Robert Mitchell.
Vivant une amourette parfaite avec son prétendant, Jay (Maika Monroe) va être frappée d’une affliction surnaturelle. Suite à leur premier rapport sexuel, son petit ami jusque-là parfait l’informe qu’il lui a transmis une curieuse malédiction: partout où la jeune fille se rendra, elle sera poursuivie par une personne, pouvant revêtir n’importe quelle forme, qui s’avancera lentement vers elle pour la tuer. Le seule moyen de s’en débarrasser est de transmettre à son tour ce phénomène horrifique en couchant avec une autre personne. Jay et ses amis vont donc s’élancer sur les routes pour échapper à ses silhouettes mortifères et mettre de la distance entre eux et elles.
Un concept rempli d’un ludisme malsain: “It Follows” prend très rapidement des allures de jeu du “chat et la souris” complètement décadent, où l’échec est synonyme de mort. Une course-poursuite perpétuelle sur un rythme planant dans laquelle l’inexorable peut surgir de n’importe quel couloir.
Une formule derrière laquelle David Robert Mitchell va sans doute se réfugier un peu trop simplement. Son scénario n’est pas sans failles et autres incohérences. Quand le flirt de Jay lui avoue avoir contracté la malédiction suite à une histoire sans lendemain, on se demande par exemple comment il a pu assimiler les règles démoniaques de concept morbide. Certes, le réalisateur et scénariste laisse le spectateur libre de douter de la parole du jeune homme, mais un sentiment de synopsis un peu bancal transparaît.
« Un vrai samedi soir de merde. »
Mais à vrai dire, peu importe: vivre “It Follows” uniquement au premier degré serait une erreur grossière. Toute l’horrible magie qui se dégage du film réside dans son message adressé à cette fameuse jeunesse ciblée. Cette oeuvre est presque un “coming of age” déguisé où l’acte sexuel signe la fin de l’innocence et le basculement vers l’âge adulte. Cette mort inexorable à long terme symbolise parfaitement cette époque charnière dans la vie de chacun et la fuite de Jay apparaît soudain comme celle d’un Peter Pan refusant de vieillir, se réfugiant auprès de ses amis avec qui elle a grandi. David Robert Mitchell théorise l’insurmontable étape des premiers amours qui scarifient à jamais.
Intelligemment, les adultes sont d’ailleurs presque totalement soustraits au récit, n’apparaissant le plus souvent que de dos et dans des rôles mineurs. Le cinéaste parle en tête à tête avec son audience et les plus âgés qui veulent s’imprégner du film doivent faire un effort de retour en arrière, à l’époque où eux-même ont connu cette étape de la vie.
Intriguant par ailleurs de noter que si “It Follows” se suffit parfaitement à lui-même, c’est aussi un film qui prend des allures de véritable transition pour David Robert Mitchell: succédant à la comédie adolescente “The Myth of the American Sleepover” et précedant “Under the Silver Lake” qui abordait la fin des illusions sur la pop-culture (et dont on vous a déjà parlé sur le site), notre pellicule du jour s’inscrit dans une certaine continuité logique pour le réalisateur.
Le talent de technicien de David Robert Mitchell éclabousse totalement son film. Un véritable sens vertigineux de la perspective s’affirme dans “It Follows” et une science du tempo singulière pour casser les lignes de l’image transparaît également à de nombreux moments. Son œuvre est stylisée à l’extrême.
Une patte qu’on retrouve également dans des choix de couleurs souvent totalement artificielles, absentes de la nature. Conjugué à la fantastique bande-originale de Disasterpeace, “It Follows” devient presque électrique, industriel, mécanique. Sentiment conforté par les longs moments de silence imposés par le film qui semblent pourtant à chaque fois différents. C’est étrange à dire mais suivant les moments, l’absence de bruit donne des ressentis parfois totalement opposé, entre calme serein et psychose profonde. Un modèle du genre.
“It Follows” synthétise parfaitement les angoisses d’une génération qui se refuse à vieillir et qui voit l’âge adulte comme une petite mort. David Robert Mitchell capture ce sentiment pour transcender le simple cadre du film d’horreur.