Hérédité

(Hereditary)

2018

réalisé par: Ari Aster

avec: Toni ColletteMilly ShapiroGabriel Byrne

Y a-t-il pire horreur au cinéma que celle qui s’immisce dans ce qu’on a de plus sacré et d’intime? Depuis toujours, les films de genre ont malmené la cellule familiale et régulièrement, ils y reviennent, pour porter un nouveau coup qui nous prend aux tripes. Parfois c’est très léger, un simple divertissement qui torture ses personnages, mais il arrive également que certaines oeuvres, en utilisant les codes de l’angoisse, marquent au fer rouge le spectateur par la pertinence de leur propos. “Hérédité” est de cette trempe, de ces films qui utilisent si bien le fond et la forme qu’ils finissent par nous rester en tête, nous force à réfléchir, et nous reviennent perpétuellement en mémoire pour nous rappeler la cicatrice qu’ils ont laissé au fond de nous. Retour sur un coup de maître, et pourtant un premier long-métrage, signé Ari Aster.

Cette famille qu’on va suivre pendant tout le film est en deuil. La grand-mère frappée de démence a fini par rendre l’âme et le film s’ouvre sur son enterrement. Mais dans le terrible enchaînement d’événements qui va suivre cette cérémonie, les parents et leurs deux enfants vont faire face à l’horreur la plus crue et à des phénomènes tragiques ou paranormaux qui vont bouleverser leur existence.

Derrière ce résumé qui serait faussement banal, Ari Aster propose en fait, par le biais de l’angoisse perpétuelle, une réflexion poussée sur le modèle familial typique, et tout spécialement sur la place de la mère de famille, ici interprétée par Toni Collette. Ce personnage, Annie, n’a de cesse d’être creusé, raffiné pendant 2h. Il y d’abord, assez succinctement certes, sa place dans un système patriarcal. Ses rapports avec son mari (Gabriel Byrne) sont tendus et pourtant, le père de famille fait preuve d’une condescendance irritante, il adopte un air supérieur sans s’en rendre compte par son ton sentencieux.

Mais c’est surtout la femme en tant que génitrice qu’Ari Aster théorise. Avant Midsommar, le cinéaste étalait déjà un personnage féminin fort mais qui ne cesse d’être chahuté. Le film interroge: comment s’émanciper de nos parents malgré nos instincts primaires et quel est le devoir d’une mère envers ses enfants? La détestation mutuelle est un tabou de la société même quand on pourrait la juger pertinente. Aster démontre par son film que le sacrifice d’une femme pour sa famille et son bien-être est toujours relegué au second plan.

« Et on essuie ses pieds! »

Mais Toni Collette n’est pas la seule à être malmenée. Aster tortutre ses personnages et essore ses comédiens jusqu’à en extirper une pureté dans le jeu déconcertante. Sa direction d’acteurs est sobre mais toujours juste, dans une économie d’émotion pour mieux déclencher l’explosion au moment voulu. Une maturité déconcertante pour un si jeune cinéaste.

Son sens aigu de la caméra en jette aussi. La photo de “Hérédité” est tout simplement sublime, chaque plan insuffle une espèce d’aura horrifiante même autour des scènes les plus banales. Sa mise en parallèle entre véritable maison et modèle réduit dont Annie est une professionnelle est d’une pertinence totale. C’est parfois le mur de l’habitat rendu invisible qui donne l’impression d’une maison de poupée, parfois une réplique miniature qui s’insère dans le défilement de pièces grandeurs natures: Aster est maître du temps et de l’espace dans son film.

Autre dissonance voulue, le jeu autour des reflets de lumière qui balayent régulièrement l’écran, et le bruit caractéristique de la plus jeune enfant qui fait claquer sa langue. Ces deux phénomènes sensoriels pourraient sembler anodins mais ils sont comme un marteau et une enclume dont le spectateur serait prisonnier, contraint de prendre le choc de l’outil encore et encore. Des petites touches, des “presque rien” qui changent totalement l’identité du film pour lui donner un style propre.

Sentiment conforté par un montage qui pourrait paraître faussement traînant mais qui enchaîne pourtant les éléments importants à bon rythme. Chaque instant qu’on pense plus posé, presque “sécurisé”, prend en fait tout son sens dans l’emballement final. Il n’y a rien d’anodin dans l’intention artistique d’Ari Aster: tout est calculé, tout est maîtrisé, rien n’est laissé au hasard.

Hérédité” c’est un double choc. Il y a d’abord la force d’un propos qui remue au fond de nos entrailles, mais aussi l’affirmation d’un tout jeune cinéaste qui s’approprie les codes pour mieux bouleverser le film de genre.

Nicolas Marquis

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