Garde à vue

1981

réalisé par: Claude Miller

avec: Lino VenturaMichel SerraultRomy Schneider

31 décembre, 21h, une pluie diluvienne se déverse sur un commissariat légèrement austère. À l’intérieur, Emile Martinaud (Michel Serrault), un petit notaire pédant fait les cent pas dans une pièce froide et sans âme. Il fume cigarette sur cigarette en attendant son bourreau. Dehors, l’inspecteur Antoine Gallien (Lino Ventura) sort de sa voiture et affronte l’averse torrentielle, son imperméable complètement trempé. Il passe par la réception et s’élance dans le dédale de couloirs du poste de police. Au moment où il passe la porte de son bureau pour rejoindre Martinaud, l’interrogatoire commence déjà et le cinéma peut démarrer.

Cette introduction, c’est celle de “Garde à vue”, sans conteste l’un des films les plus mythiques du cinéma de notre pays, cher au coeur de plus d’un spectateur. On vous propose aujourd’hui de vous pencher sur cette histoire aussi simple que sordide: deux petites filles ont été retrouvées tuées et violées, suivant le même mode opératoire. Principal suspect, Martinaud va subir une terrible garde à vue orchestrée par Gallien. Alors que les questions se font de plus en plus intimes, toute la vie personnelle du notaire va être mise à jour dans cette oeuvre très théâtrale dans sa mise en scène, où l’action est presque entièrement circoncise au petit bureau de l’inspecteur de police.

Un véritable duel entre deux personnages où chaque attitude revêt un sens plus profond et délimite deux caractères opposés. D’un côté, Michel Serrault se fait hautain, prétentieux, méprisant et méprisable. Tout dans son interprétation affirme un personnage détestable de suspect parfait, jusque dans les moments où acculé par les questions, il se retrouve apeuré et laisse exploser une sensibilité contenue.

En face de lui, en grand inquisiteur, Lino Ventura est presque animal dans son attitude. Attention, on parle ici de sa présence car dans ses réflexions, l’inspecteur se fait bien plus malin. Gallien est un mélange entre un homme d’une grande droiture morale et d’une intelligence fine, mais également une bête de scène qui marque la pellicule par sa prestance. Une dualité mentale parfaitement assumée et exécutée.

« Quand tu va à ton entretien Pôle Emploi. »

Ces deux personnages sont pourtant loin d’être figés dans le marbre: ils évoluent, doutent, affirment, se trompent, vacillent… pour arbitrer leur duel, la si belle Romy Schneider vient rajouter un soupçon de mystère dans cet affrontement à couteaux tirés. Son intervention est brève mais capitale pour donner un second souffle au scénario.

Comme si le casting ne suffisait pas, Michel Audiard signe les dialogues du film de Claude Miller. Les deux hommes sont en symbiose parfaite, suffisamment présents dans l’écriture et la mise en scène pour donner une identité propre au film, et suffisamment en retrait également pour laisser ces personnages libres de s’imprégner dans l’esprit de chacun. Un affrontement perpétuel où les rapports de forces s’inversent continuellement.

L’exercice du huis-clos se veut aussi réussi. Quelques flashbacks viennent ponctuer le film, mais à chaque fois uniquement visuels alors qu’en voix-off, les échanges entre les deux hommes continuent. Miller ne casse pas sa grammaire, l’action restera écrite au présent, dans ce commissariat délabré.

Cela ne veut pas dire que physiquement, les deux protagonistes sont figés. Nos tristes héros déambulent, occupent les lieux et s’accaparent la pièce. Il arrive qu’ils quittent la salle d’interrogatoire mais on y revient sans cesse, comme un purgatoire psychologique où Gallien est le garant de la moralité. Théâtral on l’a dit, mais un exemple parfait de la science de l’espace des deux acteurs.

Ils sont parfaitement aidés dans leur tâche par un scénario millimétré. On ne cesse, à travers les questions de Gallien et les réponses de Martinaud, de changer de temps et de lieu. Le présent, le passé proche, celui plus lointain: on les quitte un instant pour y revenir, dans un mélange subtil qui permet au film de toujours rester limpide et fluide. Haletant et parfaitement assimilable à la fois, “Garde à vue” impose une écriture parfaite jusqu’à un final clair, net et cruel.

Deux acteurs au sommet, un staff au service: “Garde à vue” n’a pas volé sa place au Panthéon des films français sombres qui ont marqué le grand public.

Nicolas Marquis

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