2021
Réalisé par: Fanny Liatard, Jérémy Trouilh
Avec: Alséni Bathily, Lyna Khoudri, Jamil McCraven
Les traits d’union les plus étranges sont parfois juste sous nos yeux. Alors que l’insalubrité des cités HLM franciliennes est souvent pointée du doigt, et le débat bien souvent balayé d’un revers de la main par les responsables politiques, c’est peut-être bien à l’art d’attirer notre attention. En tissant un lien subtil entre l’étroitesse des logements et celle d’une station spatiale, les réalisateurs de “Gagarine”, Fanny Liatard et Jérémy Trouilh, trouvent un angle d’attaque intéressant pour livrer leur regard amoureux sur ces populations baignant dans la précarité, un peu à l’inverse des productions actuelles qui défraient la chronique. C’est de ce parallèle que découleront certaines faiblesses mais surtout beaucoup d’intensité dans le propos livré, car finalement, le ciel au-dessus de nos têtes et au-dessus de celle de Thomas Pesquet n’est-il pas un peu le même?
Pour lancer le compte à rebours de ce long métrage hautement métaphorique, un postulat simple: Youri (Alsény Bathily) est un jeune habitant de la cité Gagarine d’Ivry-sur-Seine, vivant terriblement seul et tournant souvent son regard vers l’immensité de l’espace, une passion qu’il espère transformer en métier. Le jour où il apprend la destruction prochaine de son bâtiment, ce jeune héros va entreprendre le projet utopique de rénover lui-même l’immeuble. Une ambition vouée à l’échec, malgré l’aide de certains résidents, et qui risque fort de pousser Youri encore plus profondément dans l’isolement social s’il ne réussit pas.
Évoquons d’emblée un point sur lequel “Gagarine” mettra tout le monde d’accord: sa patte graphique incroyablement maîtrisée. Non contents d’offrir de belles images, Fanny Liatard et Jérémy Trouilh vont leur offrir du sens, et ce sur un, deux, voire trois niveaux de lecture différents. Notre duo de cinéastes semble s’évertuer à filmer la cité Gagarine comme un étrange vaisseau intersidéral, une station spatiale cloisonnée dans son enfer géométrique. Une allégorie qui sera de plus en plus poussée à mesure que le film avance, jusqu’à basculer avec délice dans l’onirisme pur convoqué dans le final. C’est un aspect de l’œuvre qui trouve aussi écho dans le travail sonore, musical ou non, plein de tact.
« Et ça roule sur les trottoirs… »
Mais tout aussi imposante soit la bâtisse, Fanny Liatard et Jérémy Trouilh n’oublient pas l’humain et parsème leur film de tranches de vie, dispersées au gré d’un montage planant. Des instantanés parfois un peu cruels, comme dans la représentation d’une portion de la jeunesse, mais le plus souvent bienveillants, chaleureux, pour ces démunis contraints par une vie de misère. Il y a une cohésion de groupe dans “Gagarine” qu’on met peu en avant au cinéma, l’idée que ceux qui ont très peu peuvent y être attachés malgré les désaccords. C’est aussi quelques rares moments fugaces d’une beauté contagieuse qui s’étalent: un bricolage qui marche enfin, une amitié qui se noue, une lumière qui s’allume…
D’ailleurs, on pourrait avancer que “Gagarine” n’offre que peu de contrepoids au parcours de Youri, et il est vrai qu’une certaine naïveté ambiante peut froisser les plus critiques. Mais encore faut-il ouvrir les yeux: les voix discordantes ne manquent pas, elles sont peut-être juste un peu timides, comme cet ancien à bout de nerf d’une vie de pauvreté et qui est prêt à tout pour quitter la cité. En fait, Fanny Liatard et Jérémy Trouilh font le choix de filmer avec ampleur l’ordinaire et de réduire à une place plus restreinte ce qui pourrait sembler un point clé de l’intrigue ailleurs. “Gagarine” rééquilibre l’image des banlieues avec un amour communicatif.
Mais point question d’ignorer les problèmes de fond liés aux habitations à loyer modéré, et tout spécialement à la place des oubliés dans ce système étouffant. Youri est esseulé, mais tout autour de lui vont venir graviter d’autres parias de notre monde, laissés en marge de la marche du progrès. “Gagarine” donne vie aux murs mais sait aussi les souligner comme les barreaux d’une terrible prison sociale.
Ce que “Gagarine” concède en naïveté, il le gagne en beauté visuelle formelle. Suffisant pour tisser une ligne scénaristique assez unique autour d’une problématique souvent maltraitée au cinéma, et ici rayonnante.