Essential Killing

2010

de: Jerzy Skolimowski

avec: Vincent GalloEmmanuelle SeignerZach Cohen

Parmi les exercices qu’on pense simples mais qui sont effroyablement difficiles, il y a celui du mariage entre divertissement et politique. Complexe de trouver l’équilibre lorsque les deux notions semblent si opposées. Ce savoureux mélange, “Essential Killing” va le tenter en alliant à son propos presque philosophique tout un vocabulaire cinématographique plus proche d’ordinaire du thriller. Encore mieux, le film va même réussir à transformer les impératifs du genre en petits messages réfléchis qui aident son argumentation, même si l’ensemble n’est pas toujours captivant. Attardons-nous sur “Essential Killing”.

Le film nous raconte l’histoire d’un prisonnier de guerre afghan qui va tenter de s’échapper d’un centre de détention américain. On doit même vous mettre en garde immédiatement: le film est quasiment muet. Tout se joue sur ce mécanisme de la fuite et quelques symboles visuels, pour le reste c’est minimaliste au possible.

Mais le réalisateur Jerzy Skolimowski va tout de même maquiller habilement son propos: grâce à tout un tas de petits trucs de réalisation, il donne presque à “Essential Killing” un air de divertissement. Pour exemple, la manière dont le cinéaste gère sa caméra, en venant dès que possible au contact de son protagoniste pour insuffler un peu de concret à sa mise en scène. En tournant autour de lui, c’est la confusion qu’on appuie. À l’inverse, un cadrage plus posé qui met le panorama en avant et on comprend tout le poids qui pèse sur les épaules du prisonnier.

Du maquillage ne suffit tout de même pas à faire des miracles: pour bien des personnes, “Essential Killing” apparaîtra chiant au possible. On ne peut pas tenir tout un film avec des artifices, si le fond n’y est pas ça ne prend pas. Et ici, le fond, il faut l’interpréter, voir le film comme une métaphore géante sur des sujets tellement larges qu’ils sont parfois mals définis: la religion, le destin, les responsabilités…Tout ça est évoqué mais pour une partie du grand public, le film peut sembler aussi vain que la fuite de son personnage, comme si “Essential Killing” était un film à suspens mal maîtrisé.

« C’est parti pour les abdos. »

Mais il faudrait être de mauvaise foi pour ne pas voir certains symboles très appuyés. En premier lieu, la neige. Certes, un transport de prisonniers est filmé en ouverture, mais pour un captif afghan, des paysages neigeux, c’est forcément un message. Quand au fur et à mesure des embûches, toujours plus vicieuses les unes que les autres, on constate que la neige s’épaissit, alors plus de doute, ce sont les problèmes de plus en plus énormes qui collent aux basques du héros qui sont à voir.

Idem pour la place des femmes qu’il est de bon ton de questionner. Réduites un temps à de simples nourricières, elles attestent d’une humanité de plus en plus absente dans la quête du héros, une façon de rendre le protagoniste presque animal à plus d’un recoin de l’histoire.

En mettant ainsi en scène un prisonnier afghan, la religion est aussi à disséquer, mais en l’élargissant davantage aux autres cultes que simplement l’Islam. Dans “Essential Killing”, elle n’apporte jamais de réponse et est toujours au mieux pourvoyeuse de simples rêves. Il n’y a pas de divin dans le film, c’est même la base de sa thèse. Ce que l’on peut voir comme un dieu vicieux, qui grillerait des fourmis à la loupe, n’est jamais plus qu’une suite de hasards de plus en plus désastreux: une possibilité mathématique effroyable mais concrète.

Du Kafka si vous êtes littéraire, du frères Coen si vous êtes cinéphile, c’est peut-être comme ça qu’on peut le mieux résumer ce long-métrage. Si on gardera toutes proportions gardées quant à la qualité finale, on n’en décèle pas moins une certaine parenté dans la façon de démontrer par l’absurde, mais aussi dans cette logique de l’emmerdement maximum.

“Essential Killing” est un moment d’abord prenant par sa forme, puis ensuite dans sa démonstration. Pour peu que vous vous asticotiez un peu la cervelle, vous devriez y voir une symbolique assumée, mais on réservera le film aux plus souples d’esprit.

Nicolas Marquis

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