Emma.

2020

Réalisé par: Autumn de Wilde

Avec: Anya Taylor-JoyJohnny FlynnMia Goth

Peu sont les figures littéraires anglo-saxonnes plus mythiques que Jane Austen. À cheval sur le 18ème et le 19ème siècle, la romancière a produit des écrits devenus des classiques souvent étudiés à l’école, avec probablement pour exemple le plus connu son “Orgueil et préjugés”. Difficile donc de s’attaquer à un tel monument lorsqu’on est une jeune cinéaste, mais c’est pourtant le défi que va relever Autumn de Wilde pour son tout premier long métrage en adaptant sur grand écran “Emma.”. Une preuve de courage artistique et de respect qui invite à une certaine sympathie et tolérance au moment de se pencher sur un long métrage toutefois loin d’être exempt de tout reproche.

Emma (Anya Taylor-Joy), c’est le nom d’une riche jeune femme de la campagne anglaise qui occupe son temps en jouant les entremetteuse pour ses pairs, avec un certain succès. Personnellement fermée aux affaires du cœur lorsqu’elles la concernent, l’héroïne va voir ce dogme chamboulé alors qu’elle tente de trouver un compagnon à une pauvre villageoise. Emma va se plonger dans le jeu de l’amour sous le regard un poil inquisiteur de son ami Mr. Knightley (Johnny Flynn).

C’est donc une définition du sentiment amoureux qui se dessine dans “Emma.”, une approche relativement subtile sur les émois des contemporains de Jane Austen. Là où le talent de la femme de lettres s’épanouit le mieux, c’est sans doute dans la façon d’atteindre ce nirvana sentimental en utilisant moult contre-exemples. Le fond du récit se construit par la négation, on comprend que Jane Austen tente de nous dire “non, l’amour ce n’est pas ça” à de très nombreux tournants de son œuvre et il suffit d’assimiler le reste pour se faire sa propre idée de la passion. Un processus qui fonctionne et qui fait de Emma, malgré son air supérieur, une élève de la vie. C’est souvent avec acidité que s’affirme cet axe mais le message est posé.

Ce sentiment de cruauté va parfumer tout le film: on n’ira pas jusqu’à parler de lutte des classes, mais il existe dans cette histoire une grande réflexion sur le mépris des aristocrates pour les gens humbles, les utilisant presque comme des jouets. La grande vacuité de l’existence des bourgeois résonne comme une injustice pour les plus opprimés et Emma est le parfait exemple de cette idée. Ce sentiment est conforté par l’image stricte de la société de l’époque qu’on nous propose.

« Top de la mode. »

Pour casser cette rigidité, Autumn de Wilde va apporter beaucoup de rondeur et mouvement à sa réalisation. La cinéaste réussit à trouver un espace d’expression dans un récit emblématique de la littérature et insuffle sa patte avec brio. On se questionne tout de même: ne dénaturons-nous pas un peu trop l’esprit du livre de Jane Austen avec cette légèreté, quitte à lui enlever un soupçon d’amplitude émotionnelle? La réponse à cette question n’est pas universelle, chacun peut se faire son idée du moment qu’on assimile qu’“Emma.” n’est évidemment pas un film de Jane Austen mais bien le regard d’une autre artiste respectueux sur son œuvre. Une nuance essentielle.

Dès lors, on peut savourer le reste et surtout les visuels que propose Autumn de Wilde. Décors somptueux, costumes démentiels et coupes de cheveux exubérantes parsèment le film d’un esprit unique, une vraie vision artistique. La sensation la plus intense de cette identité propre à “Emma.” est éprouvée devant les couleurs qui égayent le film. Des teintes pastelles mais d’une grande variété participent à faire du film un moment à part.

De quoi accentuer l’esprit mutin commun à Jane Austen et Autumn de Wilde. “Emma.” serait presque une comédie romantique d’époque dans sa démarche. Il règne un véritable humour dans le long métrage, pas un rire gras mais un certain sentiment de volatilité que vient appuyer une musique aux airs malicieux. Mais ne va-t-on pas trop loin dans cette démarche? En cantonnant une majeure partie du film à un esprit comique, on rate totalement les virages dramatiques de l’histoire. “Emma.” manque d’emprise sur le spectateur pour être efficace.

La multiplicité des personnages devrait aider à nuancer les sourires  mais il ne font en fait qu’appuyer le ridicule de certaines situations mal installées. Le jeu d’acteur très théâtral n’aide pas non plus à adopter ces personnages. Si Anya Taylor-Joy est ensorcelante et pèse sur l’œuvre de tout son talent, le reste du casting nous est apparu parfois davantage perdu. On déclame les tirades plus qu’on ne les interprète dans “Emma.” et le surjeu n’est jamais très loin malheureusement.

Fidèle à l’esprit de Jane Austen tout en s’affirmant comme une œuvre unique dans son style, “Emma.” réussit à faire le service minimum mais apparaît parfois perdu dans son approche d’un récit culte.

Nicolas Marquis

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