Crip Camp: la révolution des éclopés

(Crip Camp)

2020

Réalisé par: James LebrechtNicole Newnham

Avec: James LebrechtLionel Je’WoodyardJoseph O’Conor

En 2020, l’Oscar du meilleur film documentaire était attribué à “American Factory”. Une œuvre au sujet important qui avait su faire parler d’elle entre autres grâce à la présence au poste de co-producteurs de Barack et Michelle Obama. Cette année, rebelote: en épluchant plus en détails les nominations récemment tombées, et plus spécialement la catégorie documentaires, on constate que l’ancien couple présidentiel américain remet le couvert avec “Crip Camp” de James Lebrecht et Nicole Newnham. Une aubaine et un gage de visibilité indéniable pour le film tant ce registre cinématographique est souvent boudé par le grand public. Et ça tombe bien, la visibilité c’est exactement de cela qu’il va être question dans notre réfraction du jour.

Composé majoritairement d’images d’archives et de témoignages des personnes impliquées à l’époque, “Crip Camp” retrace l’histoire relativement méconnue de la lutte des handicapés américains pour l’égalité des droits et l’accès à l’emploi, le transport et les espaces publics. D’un camp de vacances spécialisé (et un peu hippie sur les bords) dans les années 70 naît une unité et un esprit de révolte chez ces invisibles qui ont pu savourer la liberté l’espace d’un été, ce qui les mènera jusqu’à faire évoluer la législation américaine malgré les réticences de l’administration.

À la base, il y a un acte altruiste: accueillir les enfants handicapés dans un camp de vacances est à l’époque un véritable défi et surtout une exception. Dans une Amérique en pleine contestation sur de multiples questions, les personnes en situation de handicap sont encore relativement peu représentées. Il y a de la beauté dans ce geste, l’idée persistante que d’une simple action basée sur la bonne volonté, une révolution plus grande a pu naître. Les petits ruisseaux font les grandes rivières.

Mais peut-être plus intensément, “Crip Camp” va définir la notion de liberté avec une belle amplitude. Pour ces gosses habitués à la stigmatisation, le camp de vacances est un espace dans lequel ils ne sont pas jugés, un endroit où ils peuvent s’épanouir et enfin vivre. De ce cadeau naît une soif d’égalité sans précédent, l’envie de ne plus se laisser frapper mais de rendre les coups. Une révolution pacifiste mais puissante qui chamboule la société.

« Et voilà la mariée… »

Intéressant d’ailleurs de noter que c’est après s’être rassemblés que ces handicapés se tournent vers le combat, comme s’il y avait un besoin de partager la douleur en même tant que la joie, de côtoyer des gens comme eux pour prendre conscience qu’ils ne sont pas seuls. Pour autant, la communauté formée par les vacanciers n’est pas fermée, bien au contraire. Ce groupe ne se replie pas sur lui-même mais tisse des liens pour trouver le courage d’aller vers les autres et demander des comptes. Il existe d’ailleurs une certaine convergence des luttes sociales dans les soutiens que reçoivent les héros du documentaire, comme lorsqu’un intervenant évoque la sympathie des Black Panthers pour leur combat alors que les héros du documentaire organisent un sitting.

Mais ce qui choque le plus vient des autres, de la cruauté de ceux qui ont la chance d’être en bonne santé. Parler d’indifférence serait mensonger, c’est ici du mépris pur et simple qu’on expose. L’Amérique voudrait cacher sous le tapis ces gêneurs et cette attitude n’est pas imputable qu’aux frileux gouvernements mais également à des civils, toujours prompts à porter un regard de dégoût voire à agresser verbalement les malades.

Toutefois, “Crip Campp” ne joue jamais la carte de la division. On sent derrière la démarche des réalisateurs l’envie de réconcilier deux populations d’un même pays et d’inviter les USA à faire la paix avec son Histoire. Trop souvent, les mouvements pacifistes de ces années sont moqués, critiqués, dénigrés. “Crip Camp” propose un parfait exemple de ce que ces mentalités douces et rêveuses ont su insuffler aux États-Unis. Le camp de vacances prend des allures d’utopie mais est en fait une graine d’où poussera des courants de pensée infiniment nécessaires.

Malgré notre enthousiasme et notre implication émotionnelle (la question du handicap nous parle beaucoup au sein de notre équipe), on ne peut pas tout pardonner au film. Son rythme par exemple est perfectible: la phase d’introduction qui étale la vie du camp est trop imposante et redondante, alors que la lutte civique qui s’ensuit est parfois vite balayée. Jamais “Crip Camp” ne nous a semblé maîtriser l’émotion dans sa construction.

Reste tout de même un goût de révolte. Une invitation à lutter pour soi et pour les autres, pour les opprimés, les sans voix, ceux qu’on ignore. Se battre pour un monde meilleur, tout simplement.

On a pris un certain plaisir à découvrir cette histoire poignante, et malgré quelques défauts, “Crip Camp” déborde d’une énergie communicative.

Nicolas Marquis

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