(Tabi no Owari Sekai no Hajimari)
2019
de: Kiyoshi Kurosawa
avec: Tokio Emoto, Ryô Kase, Atsuko Maeda
Aujourd’hui, on va vous parler de Kurosawa. Non pas Akira mais l’autre, Kiyoshi, désolé. Si on s’excuse, c’est parce que malgré toute l’affection qu’on a pour lui, et l’amour sincère pour une partie de sa filmographie, Kiyoshi Kurosawa semble être rentré dans une phase de sa carrière franchement étrange, pour ne pas dire beaucoup moins bonne. Si la plupart de ses films reçoivent un bon accueil critique, on est nous beaucoup plus mesurés, peut-être parce qu’on est toujours plus critique envers ceux qu’on a aimés. Fin de la transition avec “Au bout du monde” ou nouveau film un peu bancal? Réponse à suivre.
D’abord un mot sur l’histoire: au fin fond de l’Ouzbékistan, une équipe de tournage japonaise réduite et plus particulièrement la reporter Yoko (Atsuko Maeda) sont en plein tournage d’un documentaire sur ce pays du centre de l’Eurasie. Perdue à l’autre bout du monde, la jeune femme est en pleine réflexion sur le futur de sa carrière, partagée entre ce boulot qui ne la satisfait plus, son envie de futur plus artistique et son mal du pays nippon.
Ce portrait de femme, tout en intimité, il est porté magnifiquement à l’écran par Atskuo Maeda. C’est selon nous le plus beau succès du film, cette qualité d’interprétation, mélange de retenues et d’explosions au moments clés franchement bluffant. L’actrice s’approprie le film et Kurosawa lui permet de le faire aussi en lui donnant toute la place possible à l’écran. Bémol ceci dit, une telle pratique implique forcément des rôles secondaires un peu effacés, mais c’est le propos du film qui le veut, admettons-le.
Plonger dans le long-métrage, c’est donc fatalement faire un effort d’identification au personnage et là aussi, “Au bout du monde” amène bien son scénario. On a beau être un homme européen plus si jeune, ce personnage, on réussit à y trouver des choses concrètes, propres à la plupart des humains doués d’intelligence. Le problème ici, et c’est un constat qu’on étend à la plupart des oeuvres récentes du cinéaste, c’est cette notion de rythme jamais réellement maîtrisée. Un tel film impose forcément de longs moments introspectifs et silencieux, sans conteste, mais Kurosawa a tendance à confondre “intime” et “lenteur”. Et franchement c’est rageant parce qu’à certains endroits, il amène un peu de rêverie vraiment sympa. On vous le redit les gars, on est exigeant envers ceux qu’on a aimés.
« Steack haché! »
Surtout avec quelqu’un qui s’appuie sur une bonne photo pour réussir un pari intéressant: rendre l’Ouzbékistan de plus en plus sexy à mesure qu’on avance dans le film. On va pas se mentir, c’est pas vraiment le pays qui nous attire le plus à la base, avec tout le respect qu’on a pour les centaines d’ouzbeks qui nous suivent chaque jours. C’est d’ailleurs l’un des sujets les mieux maîtrisés du film: Yoko est une femme renfermée sur elle-même, à la limite de l’agoraphobie et elle ne peut s’ouvrir aux autres essentiellement par peur, elle qui pourtant aurait besoin d’émotions sincères pour s’émanciper.
Le film se paye même le luxe d’une gigantesque mise en abîme: cette équipe documentaire, elle restitue le cadre d’un tournage et tous les petits escamotages dont elle se rend coupable, elle qui devrait restituer la vérité, sont autant de petites entorses à la démarche du reportage. D’un emploi pragmatique mais faux, vers des envies de carrière artistique finalement bien plus ancrées dans le réel, le parcours de Yoko est logique. D’autant plus qu’elle semble enfermée dans un monde d’hommes: toute son équipe de tournage est masculine, son mari est un modèle de courage et le destin de l’héroïne semble lui promettre l’existence d’une femme servile. Coupable de ses rêves, condamnée à un emploi violent au sens propre du terme, Yoko est terriblement à l’image de ce que notre société offre de plus machiste. “Au bout du monde” traite assez clairement d’émancipation.
Mais ce sujet intéressant n’excuse pas tout et franchement, on va pas mâcher nos mots: Kurosawa délivre un film chiant. Son déroulé est mauvais, plusieurs métaphores sont lourdingues et son style lent et traînant montre vite ses limites. On ne saurait trop dire ce qui s’est passé dans la vie de Kurosawa pour qu’il perde son sens du cinéma si séduisant auparavant, mais pour répondre d’une manière pragmatique à l’interrogation initiale de notre début de critique: non, “Au bout du monde” ne signe pas le renouveau de Kiyoshi Kurosawa, simplement un scénario intéressant mais une réalisation perfectible.
Perdu au milieu des deux heures de long-métrage, il y a probablement un bon film d’1h20. Mais ces quarante minutes de légère pose prétentieuse complètement inutiles plombent un film qui aurait pu gagner en ampleur simplement en cherchant à en faire moins, mais mieux.