Bestia
Bestia affiche

2021

Réalisé par: Hugo Covarrubias

Film vu par nos propres moyens

Quelle proposition singulière que le Bestia de Hugo Covarrubias. Oeuvre d’animation réalisée entièrement en stop-motion, mêlant pâte à modeler, poupée de porcelaine, et découpages de carton, le court métrage, disponible sur Arte, propose durant une quinzaine de minutes une histoire hallucinée, et pourtant inspirée de faits réels. Il y a en fait fort à parier, et c’est ainsi que nous avons vécu l’expérience, qu’à la première vision, rien ne fait sens pour le spectateur. Seul un carton en fin de film nous donne le contexte, mais après coup.

Avant cela, le public est plongé dans le quotidien d’une femme d’apparence froide, au visage profondément fermé et figé, pour ne pas dire malsain, articulant sa vie entre des scènes triviales du quotidien, des séquences suggerant la mise à mort d’illustres inconnus, et des actes sexuels avec son chien, un berger allemand bruyant. Oui, c’est exactement ce que propose Bestia, et il y a de quoi tomber des nues au premier visionnage. Pourtant, Hugo Covarrubias réussit à nous communiquer une certaine forme de talent formel dès cette séance initiale: sa science de l’animation se révèle unique, mais fouillée. Tous ces décors, accessoires, et personnages, qu’on devine assemblés de ses mains d’artiste, imposent une patte unique au court métrage, en en faisant un bijou noir, respirant le travail d’orfèvre. Il semble aussi que le metteur en scène tente de communiquer par son montage sec et haché, mais quoi exactement ?

Bestia illu 1

Pour le savoir, il faut indéniablement poser le contexte qui entoure Bestia. Hugo Covarrubias nous narre en fait le quotidien, tiré d’une histoire vraie, de Frida, tortionnaire chilienne durant la dictature de Pinochet, et qui ne sera jamais jugée pour ses crimes. Tout le concept qui alimente le court métrage réside dans l’avalanche de scènes du quotidien de cette pourriture infâme, auxquels on soustrait les actes de tortures. Dès lors, le spectateur est juge de la nature profonde de Frida et se rend compte que ce protagoniste principal n’est pas coupable que de ce que son gouvernement lui ordonne, mais possède bel et bien une part de vice en elle. Perpétuellement montrée au bord de la brêche mentale, le poids de ses crimes pèsent sur elle et ses victimes sans visages sont d’ailleurs présentes à l’écran dans une des nombreuses scènes allégoriques.

Le montage donc, servirait à nous offrir une collection de courtes petites tapes, au plus proche de Frida. Manger, dormir, tuer, copuler… Et répétition. L’effet sur le spectateur se révèle intéressant à analyser: il est humain de ressentir une gêne intense lorsque chien et humain s’accouple, un élément probablement issu de la vie réelle de Frida. Cependant, comment expliquer que le dégoût soit plus présent dans ces instants que dans les scène de mise à mort, certes pas explicites mais évidentes. Peut être parce que Hugo Covarrubias instaure un rapport affectif avec le chien, seul compagnon de Frida. La tortionnaire le mène à la baguette, mais n’a que lui. Pourtant, c’est toute la bestialité d’une criminelle de l’Histoire que semble synthétiser l’animal: au terme du film, elle devra se tuer, ou tuer la bête.


Si Bestia est donc profondément gênant, par nature, il atteste tout de même d’un état de faits intéressant à souligner, lié à son format et à son approche visuel. On peut rester hermétique à la proposition de Hugo Covarrubias, et c’est sans doute ce sentiment qui habitera la plupart des spectateurs, mais il est indéniable qu’une douleur habite le réalisateur, et que son seul moyen d’expression soit le court métrage d’animation. On imagine assez mal la vision de Hugo Covarrubias transposé à un long métrage. Dès lors, et à l’heure où l’académie des Oscars relègue au second plan cette catégorie dans laquelle figure Bestia, tout l’intérêt de cette forme de cinéma éclabousse l’écran. L’artiste a été entendu.

Pour ceux qui tombent dessus par hasard, Bestia se révèle perturbant. Âmes sensibles s’abstenir pour cette œuvre unique et allégorique, pourtant inscrite dans le réel.

Nicolas Marquis

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