2021
Réalisé par: Kenneth Branagh
Avec: Jude Hill, Caitriona Balfe, Jamie Dornan
Film vu par nos propres moyens
Si le cinéaste et acteur Kenneth Branagh est davantage connu pour ses incursions dans le cinéma de grand divertissement, à l’instar de ce qu’il nous propose à travers ses collaborations avec Disney ou dans ses versions revisitées des aventures d’Hercule Poirot, son ambition artistique semble aller au delà du simple cinéma pop-corn. En s’attardant un instant sur les premiers essais de sa filmographie de réalisateur, des transpositions des œuvres de Shakespeare ou Mozart détonnent de ce qu’est devenu l’artiste. Belfast, en bonne position aux prochains Oscars, signe une forme de renouement avec un septième art subtil pour Kenneth Branagh, ponctué par une certaine douceur et une ambition visuelle davantage affirmée.
Le cinéaste y transpose ses souvenirs d’enfant, lui qui a été un gosse de l’Irlande du Nord dans les années 60, tout comme le jeune héros du film, Buddy (Jude Hill). Au cœur des tourments politiques et religieux qui ont secoué le pays à cette époque, Belfast nous fait avant tout éprouver le quotidien de ce môme arpentant les rues de la capitale, pris entre ses rêves enfantins, ses premiers amours et un contexte familial particulier. Sur un rythme presque planant, Kenneth Branagh nous invite au voyage temporel.
Gavroche
Belfast se pose donc comme une chronique de son époque, mais vécue à travers les yeux d’un enfant. Dans l’ombre de la grande Histoire prend place les milliers d’aventures du jeune Buddy, mélangeant les éléments concrets et son imaginaire. Alors que les hommes se déchirent, ce petit héros du quotidien aspire à prendre place au premier rang de sa classe pour côtoyer celle dont il est amoureux ou bien à dérober des chocolats, et à plus forte raison, il voit son père en héros de Western dans une séquence citant explicitement Le train sifflera trois fois. Perpétuellement, le film nous cantonne à son regard sur le Belfast qu’il habite, faisant de nous, les spectateurs, de jeunes garçons. Nul doute que Kenneth Branagh puise une inspiration certaine dans Les Quatre Cents coups de François Truffaut, ce qui conduit à un problème de l’œuvre: tout au long de Belfast, les inspirations se font très, trop sans conteste, prononcées.
Pour alimenter cet axe du film, Kenneth Branagh fait le choix d’adopter la vision de Buddy. Si quelques scènes ont un peu plus de souffle épique, la majorité du long métrage se passe à hauteur d’enfant: la caméra du cinéaste adopte la taille du protagoniste principal, plus proche du sol qu’à l’accoutumé. Les adultes ne se perçoivent d’ailleurs bien souvent qu’à travers l’encadrure d’une fenêtre, comme si nous étions nous aussi en marge de leur monde. Le réalisateur apporte par la même occasion une réfléxion sur sa fascination pour le cinéma, sûrement cimentée dans son enfance: si la quasi-totalité de Belfast est en noir et blanc, l’écran de la salle où se rend Buddy et sa famille est en couleur, comme une parenthèse d’enchantement dans une dure réalité.
L’enfer des grands
C’est donc presque malgré lui que le film se fait le témoin des maux de l’Irlande du Nord dans les années 60. Le spectre des tensions religieuses exacerbées par une politique répressive pèse constamment sur les frêles épaules de Buddy, obligé de vivre son enfance contrarié par les tumultes de l’Histoire. Dès sa séquence d’ouverture, c’est ce point précis que Belfast met en lumière, lors d’une émeute qui ravage la rue du héros, dans laquelle il est pris malgré lui. Au milieu des vandales, Buddy déambule, armé d’une épée en bois et d’un couvercle de poubelle, soldat de pacotille au cœur de la folie des hommes. Dans l’essentiel du long métrage, c’est pourtant à travers les informations télévisées entraperçues brièvement dans le salon familial, et par le biais des bribes de conversations des parents de Buddy, que se dévoileront les remous de l’époque, implicitement.
De quoi poser un problème de rythme certain: Kenneth Branagh semble tiraillé entre l’envie de livrer une chronique de l’enfance et celle d’appuyer un regard critique sur l’Irlande à la façon d’un Jim Sheridan, autre influence très marquée du film. On peut légitimement se demander si présenter un contexte historique ouvertement en introduction et en conclusion, et se cantonner à des instantanés de vie entre ces deux bornes ne nuit pas au ressenti du spectateur. Kenneth Branagh crée en fait une certaine attente et veut caresser un message social, mais son ambition est perturbée par le prisme qu’il adopte, celui de l’enfance. Si le cinéaste souhaitait nous faire ressentir l’Histoire uniquement partiellement, comme un jeune gosse de Belfast, c’est raté, on connaît les événements qui ont endeuillé la ville. S’il voulait être complet, c’est raté également, on reste trop superficiel. Le positionnement n’est pas clair.
Dans les rues de Belfast
En guise de décors, Kenneth Branagh nous propulse la majeure partie du temps dans la rue où réside la famille de Buddy. Une installation intéressante puisque ses habitants y vivent retranchés derrière une barricade de fortune, dans la crainte d’émeutes. Entre les carcasses de voitures jouent les enfants de Belfast, inconscients du danger à venir. Le jeu des comédiens adultes et la façon dont on perçoit leur parole sont eux aussi réfléchis: on ne comprendra jamais tout de leur dilemme, on ne capte que quelques fulgurances ça et là, et c’est un souhait du cinéaste. Le non-dit fait partie intégrante de son film.
Un thème contrarié par le style. Le réalisateur s’appuie sur une photo particulièrement travaillée, où le cadrage n’est jamais tout à fait dans les standards habituels. On sent une fois de plus le poids d’une autre inspiration majeure pour Kenneth Branagh, le Roma d’Alfonso Cuaron, lourdement. L’ennui, c’est que le cinéaste britannique n’a pas le talent de son homologue mexicain. Bien sûr, son image traduit parfois un sentiment pertinent: prenons par exemple cette séquence où deux femmes dialoguent alors qu’une chaise reste vide pour restituer l’absence du père de Buddy. Toutefois, il semble qu’à d’autres moments, Kenneth Branagh soit dans la pose pure et simple. Filmer Buddy de façon désaxée ne souligne bien souvent rien d’autre qu’une envie d’originalité factice, tout comme la volonté perpétuelle de surcadrer la totalité des personnages de ce Belfast. L’image sans le fond, c’est ce que certains qualifient parfois de frime, et le réalisateur semble y sombrer.
Belfast est distribué par Universal.
Si Belfast aurait pu se révéler intéressant, il est tiraillé entre son concept de base, des écueils de scénario et des influences trop évidentes. Le long métrage a du mal à laisser un souvenir véritablement marquant, malgré sa bonne volonté.
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